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Lectures confidentielles des confessions etc.

À la fin de sa première lecture, chez le comte d’Egmont, l’auteur des Confessions dit un épilogue non moins solennel et non moins grave que son discours d’introduction. »J’ai dit, telles furent ses paroles, la vérité: si quelqu’un sait des choses contraires à ce que je viens d’exposer, fussent-elles mille fois prouvées, il sait des mensonges, et des impostures; et s’il refuse de les approfondir et de les éclaircir avec moi tandis que je suis en vie, il n’aime ni la Justice ni la vérité. Pour moi, je le déclare hautement et sans crainte: quiconque, même sans avoir lu mes écrits, examinera par ses propres yeux mon naturel, mon caractère, mes mœurs, mes penchants, mes plaisirs, mes habitudes, et pourra me croire un malhonnête homme, est lui-même un homme à étouffer.« [1]

Personne n’a manifesté une plus grande fierté morale, personne n’a provoqué plus hardiment le jugement de ses semblables que l’auteur des Confessions. C’est, il est vrai, dans l’intimité qu’il s’est montré tel qu’il était et qu’il a dépeint en même temps ses amis d’autrefois, mais il n’a jamais réclamé le secret. Il permit que ses auditeurs prissent des notes et les envoyassent aux journaux, ainsi que le fît Dorat. De la sorte M. de la Tourette fut étonné de trouver dans l’Avant-coureur que Rousseau avait lu ses Mémoires devant plusieurs amis. [1] Rousseau a même confié son manuscrit à ses amis, et Rulhière put le montrer au roi de Suède. [2] Bientôt tout Paris parla des mémoires de Rousseau, et beaucoup de gens se sentirent blessés par ses audacieuses indiscrétions. M. de Malesherbes pria Dusaulx de décider l’auteur à supprimer certains articles

    Mais ne mêlons rien de moi à tout cela, afin de vous intéresser davantage ; l’Ecrit, dont je vous parle, est vraiment un chef-d’oeuvre de génie, de simplicité, de candeur et de courage. Que de géans changés en nains ! Que d’hommes obscurs et vertueux rétablis dans tous leurs droits, et vengés à jamais des méchans, par le seul suffrage d’un honnête homme! Tout le monde y est nommé. On n’a pas fait le moindre bien à l’auteur qui ne soit consacré dans son livre; mais aussi démasque-t-il avec la même vérité tous les charlatans dont ce siècle abonde.
    Je m’étends sur tout cela. Madame, parceque j’ai lu dans votre âme bienfaisante, délicate et noble, parceque vous aimez Rousseau, parceque vous êtes digne de l’admirer, enfin parceque je me reprocherais de vous cacher une seule des impressions douces et honnêtes que mon cœur éprouve. Trois heures sonnent, et je ne m’arrache qu’avec peiné au plaisir de m’entretenir avec vous; mais je vous ai offert ma première et ma dernière pensée ; j’ai entendu la confession d’un sage; ma journée n’est point perdue.«

    (Oeuvres de J.-J. Rousseau, Édition de Genève. 1782. XXX. 260, note g.)

  1. a et b Oeuvres compl. Conf. IX. 82. Nous avons dû transcrire ici tout ce passage, parce qu’encadré dans l’ensemble des éclaircissements que nous donnons, il est mis pour la première fois sous son vrai jour.
  2. Dusaulx, De mes rapports, etc. — Lettre de M. de la Tourette à M. J.-J. Rousseau. Janvier 1772. Manuscr. de Neuchâtel. — Voyez Correspondance etc. par Grimm etc. IX. 275. Pendant le séjour du prince royal de Suède à Paris dans les premiers mois de 1771 son père mourut et il devint roi étant à l’étranger.