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La Monongahéla

— Ah ! je sais, reprit Daniel en souriant, ce grand amour qui n’existe que dans ton imagination ?

— Daniel, je ne veux plus que tu railles mes sentiments qui sont sérieux, je te le jure, et la preuve, c’est qu’ils me font souffrir.

— Voyons, mon cher ami, fit Daniel devenu grave, raisonnons un peu. Tu sais si l’affection que je te porte est celle d’un frère. Eh bien ! crois-le, je suis navré de te voir par ta propre faute te créer des chagrins. Irène de Linctôt est charmante, je l’avoue ; je la crois digne de ton affection, capable de faire ton bonheur par ses vertus. Mais as-tu réfléchi où te mènera cet amour, mon ami ? As-tu bien mesuré la distance qui vous sépare et les difficultés de plus d’une sorte qui s’opposent entre elle et toi ?

— Oui, mon ami.

— Irène est la nièce de madame de Vaudreuil et la pupille du gouverneur, et tous deux l’aiment comme leur enfant. Ils rêvent sans doute pour elle un brillant mariage, comme le leur donnent droit du reste leurs alliances en France, leur position et la bienveillance toute particulière du roi. Or, crois-tu qu’on t’accordera la main de cette jeune fille, à toi, un pauvre petit officier de fortune dont le patrimoine est fort mince, à supposer toutefois que tu saches faire la conquête de son cœur.