Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/346

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projet ; mais les moyens me manquant pour cela, je fus obligé d’attendre la conclusion du traité de l’Émile, et en attendant je mis la dernière main au Contrat social, et l’envoyai à Rey, fixant le prix de ce manuscrit à mille francs, qu’il me donna. Je ne dois peut-être pas omettre un petit fait qui regarde ledit manuscrit. Je le remis bien cacheté à Duvoisin, ministre du pays de Vaud, et chapelain de l’hôtel de Hollande, qui me venait voir quelquefois, et qui se chargea de l’envoyer à Rey, avec lequel il était en liaison. Ce manuscrit, écrit en menu caractère, était fort petit, et ne remplissait pas sa poche. Cependant, en passant la barrière, son paquet tomba, je ne sais comment, entre les mains des commis, qui l’ouvrirent, l’examinèrent, et le lui rendirent ensuite, quand il l’eut réclamé au nom de l’ambassadeur ; ce qui le mit à portée de le lire lui-même, comme il me marqua naïvement avoir fait, avec force éloges de l’ouvrage, et pas un mot de critique ni de censure, se réservant sans doute d’être le vengeur du christianisme lorsque l’ouvrage aurait paru. Il recacheta le manuscrit et l’envoya à Rey. Tel fut en substance le narré qu’il me fit dans la lettre où il me rendit compte de cette affaire, et c’est tout ce que j’en ai su.

Outre ces deux livres et mon Dictionnaire de musique, auquel je travaillais toujours de temps en temps, j’avais quelques autres écrits de moindre importance, tous en état de paraître, et que je me proposais de donner encore, soit séparément, soit avec mon recueil général, si je l’entreprenais jamais. Le principal de ces écrits, dont la plupart sont encore en manuscrit dans les mains de du Peyrou, était un Essai sur l’origine des langues, que je fis lire à M. de Malesherbes et au chevalier de Lorenzi, qui m’en dit du bien. Je comptais que toutes ces productions rassemblées me vaudraient au moins, tous frais faits, un capital de huit à dix mille francs, que je voulais placer en rente viagère, tant sur ma tête que sur celle de Thérèse ; après quoi nous irions, comme je l’ai dit, vivre ensemble au fond de quelque province, sans plus occuper le public de moi, et sans plus m’occuper moi-même d’autre chose que d’achever paisiblement ma carrière en continuant de faire autour de moi tout le bien qu’il m’était possible, et d’écrire à loisir les Mémoires que je méditais.

Tel était mon projet, dont la générosité de Rey, que je ne dois