Page:Rousseau - Les Confessions, Launette, 1889, tome 2.djvu/430

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les épreuves et de veiller à l’édition. Cette conduite était dans mon tour d’esprit. C’est ainsi que j’avais débité des copies, à six sous pièce, d’une chanson qu’on avait faite contre moi. J’avais donc toute sorte de préjugés en faveur de Hume, quand madame de Verdelin vint me parler vivement de l’amitié qu’il disait avoir pour moi, et de son empressement à me faire les honneurs de l’Angleterre ; car c’est ainsi qu’elle s’exprimait. Elle me pressa beaucoup de profiter de ce zèle et d’écrire à M. Hume. Comme je n’avais pas naturellement de penchant pour l’Angleterre, et que je ne voulais prendre ce parti qu’à l’extrémité, je refusai d’écrire et de promettre ; mais je la laissai la maîtresse de faire tout ce qu’elle jugerait à propos pour maintenir M. Hume dans ses bonnes dispositions. En quittant Motiers, elle me laissa persuadé, par tout ce qu’elle m’avait dit de cet homme illustre, qu’il était de mes amis, et qu’elle était encore plus de ses amies.

Après son départ, Montmollin poussa ses manœuvres, et la populace ne connut plus de frein. Je continuai cependant à me promener tranquillement au milieu des huées ; et le goût de la botanique, que j’avais commencé de prendre auprès du docteur d’Ivernois, donnant un nouvel intérêt à mes promenades, me faisait parcourir le pays en herborisant, sans m’émouvoir des clameurs de toute cette canaille, dont ce sang-froid ne faisait qu’irriter la fureur. Une des choses qui m’affectèrent le plus, fut de voir les familles de mes amis, ou des gens qui portaient ce nom, entrer assez ouvertement dans la ligue de mes persécuteurs, comme les d’Ivernois, sans en excepter même le père et le frère de mon Isabelle, Boy de la Tour, parent de l’amie chez qui j’étais logé, et madame Girardier, sa belle-sœur. Ce Pierre Boy était si butor, si bête et se comporta si brutalement, que, pour ne pas me mettre en colère, je me permis de le plaisanter ; et je fis, dans le goût du petit Prophète, une petite brochure de quelques pages, intitulée la Vision de Pierre de la montagne, dit le Voyant, dans laquelle je trouvai le moyen de tirer assez plaisamment sur des miracles qui faisaient alors le grand prétexte de ma persécution. Du Peyrou fit imprimer à Genève ce chiffon qui n’eut dans le pays qu’un succès médiocre ; les Neuchâtelois, avec tout leur esprit, ne sentent guère le sel attique ni la plaisanterie, sitôt qu’elle est un peu fine.

Je mis un peu plus de soin à un autre écrit du même temps, dont