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Les Exploits d’Iberville

en quelques heures. Le marquis et sa femme reportèrent sur les deux jeunes têtes qui leur restaient l’amour de leur fils si tôt ravi ; mais, hélas ! l’impitoyable mort, les ailes étendues, planait derechef sur cette somptueuse demeure. Un an après le même mal terrible enlevait la cadette des filles, puis l’année suivante, c’était le tour de la dernière.

« La marquise fut incapable de supporter ces coups successifs du sort, et après avoir traîné une vie misérable et sans but pendant deux années la coupe de la vie se brisa dans sa main.

« Le marquis resta donc seul au monde entre les tombes de tout ce qu’il avait chéri sur la terre.

« La livrée prit le deuil pour longtemps et lui-même jura de ne jamais quitter ses sombres vêtements. Alors ses cheveux blanchirent, ses épaules se voûtèrent, son caractère devint sombre comme son âme, et il ne vit plus personne qu’un vieux domestique de la maison qui le servait dans les appartements les plus sombres et les plus retirés du château. Il ne se permit plus qu’une seule distraction, celle de la chasse, plutôt comme un moyen de s’isoler des vivants, que comme un vrai plaisir.

« Le pauvre désolé appelait la mort, la mort, seul baume capable de fermer la plaie au cœur toujours saignante et vivace ; mais la lugubre coquette se laissait désirer et ne venait pas.

« À quelque distance de la grande avenue du château, en pleine forêt, vivaient alors dans une misé-