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Page:Rousseau - Marceline, 1944.djvu/11

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I

Il était plus de trois heures et demie et le crépuscule envahissait la chambre quand Laure Moissy sortit de sa torpeur et se souleva sur sa chaise longue. Elle était seule depuis le matin, son mari ayant déjeuné chez sa mère, et elle avait pu développer à loisir le thème connu de ses griefs et de ses réflexions amèrement pessimistes et découragées. Maintenant elle en avait assez. Elle était lasse de sa longue immobilité, lasse de sa vaine rêverie, du silence de la chambre où il faisait trop chaud et de l’atmosphère morne qui l’engourdissait peu à peu comme un sommeil épais, hanté par un cauchemar monotone et désespérant. Elle remit ses cheveux en ordre et s’étira :

« Je vais sortir une heure. Tant pis s’ils trouvent que j’ai eu tort ! »

Elle traversa la chambre et entra dans son cabinet de toilette. Mais en s’approchant de la glace, pour fixer son chapeau, elle fut impressionnée par l’altération de ses traits. Certes, elle n’avait jamais été bien robuste ni bien colorée, mais depuis quelques mois… Elle regardait attentivement sa taille épaisse et qui se déformait de jour en jour car elle se savait menacée d’une fausse couche, et forcée de s’astreindre aux plus minutieuses précautions — mais aujourd’hui elle