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Page:Rousseau - Marceline, 1944.djvu/12

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MARCELINE.

avait une si grande envie de prendre l’air. D’ailleurs il ne faisait pas détestable.

— S’il neige, je me paie un taxi. Mais il ne neigera pas avant demain.

Et elle attacha sa voilette. — Dehors l’air vif acheva de la dégourdir. Son cœur se dilata, brisant un réseau d’amertume comme un fruit qui rompt son écorce — et elle put réfléchir avec calme et examiner de sang-froid les incidents dont le moindre souvenir, une demi-heure plus tôt, la brûlait d’une intolérable émotion.

Elle avait eu, la veille, avec Octave, une discussion insignifiante à laquelle assistait sa belle-mère. Et, chose inusitée de la part de cette femme prudente, non seulement Mme Moissy était intervenue directement dans le débat, mais elle avait soutenu son fils de la façon la plus injuste, et prononcé quelques paroles offensantes pour sa bru. À vrai dire, elle avait, un instant plus tard, suivi Laure dans sa chambre et s’était, en quelque manière, excusée. Mais les excuses de Mme Moissy laissaient généralement une inquiétude et un malaise. On s’apercevait, à les examiner, que l’on avait été la dupe aveugle et impuissante d’une femme habile jusque dans ses mouvements sincères et qui trouvait toujours moyen d’avoir raison. Elle possédait l’art du sourire indulgent, de la contrition ambiguë, du baiser opportun qui réduit au silence. Laure se figurait sa belle-mère comme elle était la veille au soir, assise à côté d’elle et lui tapotant les épaules : « Voyons ma petite… tu es un peu nerveuse… Et, dans ton état, c’est bien naturel !… Allons, Octave, viens embrasser ta femme. » Et le gros Octave d’accourir, un peu digne encore mais si généreux ! C’était la réconciliation prévue, telle que la comprenait Mme Moissy — un attendrissement général où l’objet du débat dispa-