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Page:Rousseau - Marceline, 1944.djvu/23

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MARCELINE.

n’est pas simplement une question de tempérament, l’éducation doit y être pour quelque chose. N’a-t-elle pas été horriblement gâtée ?

— Gâtée ? Non, je ne crois pas. Du moins, pas à outrance. On l’a plutôt mal comprise et mal dirigée. Sa brave femme de mère m’a toujours fait penser à la poule qui couve un canard. Au fond, elle avait très peu de sa fille.

Mme Moissy ne lui ressemble donc pas ?

— Oh ! pas du tout ! Pas le moins du monde !

Mademoiselle Anna rassemblait ses souvenirs :

— Elle ne tient ni de sa mère, ni de son père, un mollasson mélancolique tout à fait charmant, le cher homme, mais bien ennuyeux !… Non, elle ne ressemble vraiment qu’à son grand-père, le vieux Souvin. Encore un bon type, celui-là ! On ne t’en a pas parlé ?

— Jamais.

Un brusque mouvement de Mademoiselle Anna fit chavirer la table. Et elle parut éprouver à nouveau contre le père Souvin, effacé de ce monde depuis un quart de siècle, une antipathie belliqueuse.

— Ma chère, ce bonhomme-là m’aurait fait sortir de ma peau !… L’égoïsme personnifié !… Intelligent, d’ailleurs, et se démenant comme un diable dans un bénitier quand il s’agissait d’agripper quelque bénéfice — mais au logis… ce qu’il entendait à se faire servir !… Je le vois encore, dans son fauteuil, et sirotant son petit verre de cognac : ma bonne amie, tu serais bien aimable de me fermer cette porte… de m’ouvrir cette fenêtre… de me trouver ma pipe, mon tabac, mes lunettes. Et pendant ce temps sa femme, la pauvre cruche, était en admiration devant lui ! Je me rappelle qu’elle nous disait toujours qu’il était si sensible ! Moi, cela me faisait rire. Mais il y avait des gens qui le croyaient.