Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/114

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hommes, ajoute-t-il, qui savent profiter de ses dons sans les connaître ! C’est à la simplicité de leur esprit qu’ils doivent l’innocence de leurs mœurs. La belle morale que nous débite ici le censeur des sciences et l’apologiste des mœurs ! Qui se serait attendu que de pareilles réflexions dussent être la suite des principes qu’il vient d’établir ?

La nature d’elle-même est belle, sans doute ; mais n’est-ce pas à en découvrir les beautés, à en pénétrer les secrets, à en dévoiler les opérations, que les savants emploient leurs recherches ? Pourquoi un si vaste champ est-il offert à nos regards ? L’esprit fait pour le parcourir, et qui acquiert dans cet exercice, si digne de son activité, plus de force et d’étendue, doit-il se réduire à quelques perceptions passagères, ou à une stupide admiration ? Les mœurs seront-elles moins pures, parce que la raison sera plus éclairée ? et à mesure que le flambeau qui nous est donné pour nous conduire augmentera de lumières, notre route deviendra-t-elle moins aisée à trouver et plus difficile à tenir ? À quoi aboutiraient tous les dons que le créateur a faits à l’homme, si, borné aux fonctions organiques de ses sens, il ne pouvait seulement examiner ce qu’il voit, réfléchir sur ce qu’il entend, discerner par l’odorat les rapports qu’ont avec lui les objets, suppléer par le tact au défaut de la vue, et juger par le goût de ce qui lui est avantageux ou nuisible ? Sans la raison qui nous éclaire et nous dirige, confondus avec les bêtes, gouvernés par l’instinct, ne deviendrions-nous pas bientôt aussi semblables à elles par nos