Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/126

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il s’en étonner ? L’orgueil indomptable des stoïciens, la mollesse efféminée des épicuriens, les raisonnements absurdes des pyrrhoniens, le goût de la dispute, de vaines subtilités, des erreurs sans nombre, des vices monstrueux, infectaient pour lors la philosophie et déshonoraient les philosophes. C’était l’abus des sciences, non les sciences elles-mêmes, que condamnait ce grand homme, et nous le condamnons après lui. Mais l’abus qu’on fait d’une chose suppose le bon usage qu’on en peut faire. De quoi n’abuse-t-on pas ? Et parce qu’un auteur anonyme, par exemple, pour défendre une mauvaise cause, aura abusé une fois de la fécondité de son esprit et de la légèreté de sa plume, faudra-t-il lui en interdire l’usage en d’autres occasions et pour d’autres sujets plus dignes de son génie ? Pour corriger quelques excès d’intempérance, faut-il arracher toutes les vignes ? L’ivresse de l’esprit a précipité quelques savants dans d’étranges égarements : j’en conviens, j’en gémis. Par les discours de quelques-uns, dans les écrits de quelques autres, la religion a dégénéré en hypocrisie, la piété en superstition, la théologie en erreur, la jurisprudence en chicane, l’astronomie en astrologie judiciaire, la physique en athéisme. Jouet des préjugés les plus bizarres, attaché aux opinions les plus absurdes, entêté des systèmes les plus insensés, dans quels écarts ne donne pas l’esprit humain, quand, livré à une curiosité présomptueuse, il veut franchir les limites que lui a marquées la même main qui a donné des bornes à la mer ! Mais en