Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/132

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un silence respectueux sur les objets de notre admiration est souvent plus convenable que des louanges indiscrètes[1].

Mon Discours, dit-on, a de quoi surprendre[2]. Il me semble que ceci demanderait quelque éclaircissement. On est encore surpris de le voir couronné : ce n’est pourtant pas un prodige de voir couronner de médiocres écrits. Dans tout autre sens cette surprise serait aussi honorable à l’académie de Dijon qu’injurieuse à l’intégrité des académies en général ; et il est aisé de sentir combien j’en ferais le profit de ma cause.

On me taxe, par des phrases fort agréablement

  1. Tous les princes, bons et mauvais, seront toujours bassement et indifféremment loués, tant qu’il y aura des courtisans et des gens de lettres. Quant aux princes qui sont de grands hommes, il leur faut des éloges plus modérés et mieux choisis. La flatterie offense leur vertu, et la louange même peut faire tort à leur gloire. Je sais bien du moins que Trajan serait beaucoup plus grand à mes yeux, si Pline n’eût jamais écrit. Si Alexandre eût été en effet ce qu’il affectait de paraître, il n’eût point songé à son portrait ni à sa statue ; mais, pour son panégyrique, il n’eût permis qu’à un Lacédémonien de le faire, au risque de n’en point avoir. Le seul éloge digne d’un roi est celui qui se fait entendre, non par la bouche mercenaire d’un orateur, mais par la voix d’un peuple libre. « Pour que je prisse plaisir à vos louanges, disait l’empereur Julien à des courtisans qui vantaient sa justice, il faudrait que vous osassiez dire le contraire, s’il était vrai. »
  2. C’est de la question même qu’on pourrait être surpris : grande et belle question, s’il en fut jamais, et qui pourra bien n’être pas sitôt renouvelée. L’académie française vient de proposer, pour le prix d’éloquence de l’année 1752, un sujet fort semblable à celui-là. Il s’agit de soutenir que l’amour des lettres inspire l’amour de la vertu. L’académie n’a pas jugé à propos de laisser un tel sujet en problème, et cette sage compagnie a doublé dans cette occasion le temps qu’elle accordait ci-devant aux auteurs, même pour les sujets les plus difficiles.