Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/160

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plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu’elle pourrait guérir, et qu’il est blâmable de désirer et impossible de prévoir.

Laissons donc les sciences et les arts adoucir, en quelque sorte, la férocité des hommes qu’ils ont corrompus ; cherchons à faire une diversion sage, et tâchons de donner le change à leurs passions. Offrons quelques aliments à ces tigres, afin qu’ils ne dévorent pas nos enfants. Les lumières du méchant sont encore moins à craindre que sa brutale stupidité : elles le rendent au moins plus circonspect sur le mal qu’il pourrait faire par la connaissance de celui qu’il en recevrait lui-même.

J’ai loué les académies et leurs illustres fondateurs, et j’en répéterai volontiers l’éloge. Quand le mal est incurable, le médecin applique des palliatifs, et proportionne les remèdes moins aux besoins qu’au tempérament du malade. C’est aux sages législateurs d’imiter sa prudence, et, ne pouvant plus approprier aux peuples malades la plus excellente police, de leur donner du moins, comme Solon, la meilleure qu’ils puissent comporter.

Il y a en Europe un grand prince, et, ce qui est bien plus, un vertueux citoyen qui, dans la patrie qu’il a adoptée et qu’il rend heureuse, vient de former plusieurs institutions en faveur des lettres[1]. Il a fait en cela une chose très-digne de sa sagesse et

  1. Cet éloge indirect de Stanislas justifie ce que dit Rousseau : « J’avais le bonheur d’avoir affaire à un adversaire pour lequel mon cœur plein d’estime pouvait sans adulation le lui témoigner. C’est ce que je fis avec assez de succès, mais toujours avec dignité. »