Aller au contenu

Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme ceux qui m’attaquent ne manquent jamais de s’écarter de la question et de supprimer les distinctions essentielles que j’y ai mises, il faut toujours commencer par les y ramener. Voici donc un sommaire des propositions que j’ai soutenues et que je soutiendrai aussi long-temps que je ne consulterai d’autre intérêt que celui de la vérité.

Les sciences sont le chef-d’œuvre du génie et de la raison. L’esprit d’imitation a produit les beaux-arts, et l’expérience les a perfectionnés. Nous sommes redevables aux arts mécaniques d’un grand nombre d’inventions utiles qui ont ajouté aux charmes et aux commodités de la vie. Voilà des vérités dont je conviens de très-bon cœur assurément. Mais considérons maintenant toutes ces connaissances par rapport aux mœurs[1].

  1. Les connaissances rendent les hommes doux, dit ce philosophe illustre dont l’ouvrage, toujours profond et quelquefois sublime, respire partout l’amour de l’humanité. Il a écrit en ce peu de mots, et, ce qui est rare, sans déclamation, ce qu’on a jamais écrit de plus solide à l’avantage des lettres. Il est vrai, les connaissances rendent les hommes doux ; mais la douceur, qui est la plus aimable des vertus, est aussi quelquefois une faiblesse de l’âme. La vertu n’est pas toujours douce ; elle sait s’armer à propos de sévérité contre le vice, elle s’enflamme d’indignation contre le crime.

    Et le juste au méchant ne sait point pardonner.

    Ce fut une réponse très-sage que celle d’un roi de Lacédémone à ceux qui louaient en sa présence l’extrême bonté de son collègue Charillus. « Et comment serait-il bon, leur dit-il, s’il ne sait pas être terrible aux méchants ? » Quod malos boni oderint, bonos oportet esse. Brutus n’était point un homme doux ; qui aurait le front de dire qu’il n’était point vertueux ? Au contraire, il y a des âmes lâches et pusillanimes qui n’ont ni feu ni chaleur, et qui ne sont douces que par indifférence pour le bien et pour le mal. Telle est la douceur qu’inspire aux peuples le goût des lettres.