Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/166

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Si des intelligences célestes cultivaient les sciences, il n’en résulterait que du bien : j’en dis autant des grands hommes qui sont faits pour guider les autres. Socrate savant et vertueux fut l’honneur de l’humanité : mais les vices des hommes vulgaires empoisonnent les plus sublimes connaissances et les rendent pernicieuses aux nations ; les méchants en tirent beaucoup de choses nuisibles ; les bons en tirent peu d’avantage. Si nul autre que Socrate ne se fût piqué de philosophie à Athènes, le sang d’un juste n’eût point crié vengeance contre la patrie des sciences et des arts[1].

C’est une question à examiner, s’il serait avantageux aux hommes d’avoir de la science, en supposant que ce qu’ils appellent de ce nom le méritât en effet : mais c’est une folie de prétendre que les chimères de la philosophie, les erreurs et les mensonges des philosophes, puissent jamais être bons à rien. Serons-nous toujours dupes des mots ? et ne comprendrons-nous jamais qu’études, connaissances, savoir, et philosophie, ne sont que de vains simulacres élevés par l’orgueil humain, et très-indignes des noms pompeux qu’il leur donne ?

À mesure que le goût de ces niaiseries s’étend chez une nation, elle perd celui des solides vertus ;

  1. Il en a coûté la vie à Socrate pour avoir dit précisément les mêmes choses que moi. Dans le procès qui lui fut intenté, l’un de ses accusateurs plaidait pour les artistes, l’autre pour les orateurs, le troisième pour les poètes, tous pour la prétendue cause des dieux. Les poètes, les artistes, les fanatiques, les rhéteurs, triomphèrent, et Socrate périt. J’ai bien peur d’avoir fait trop d’honneur à mon siècle en avançant que Socrate n’y eût point bu la ciguë. On remarquera que je disais cela dès l’an 1750.