Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/171

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Tel est le sommaire des choses que j’ai avancées, et dont je crois avoir donné les preuves. Voyons maintenant celui de la doctrine qu’on m’oppose. « Les hommes sont méchants naturellement ; ils ont été tels avant la formation des sociétés ; et, partout où les sciences n’ont pas porté leur flambeau, les peuples, abandonnés aux seules facultés de l’instinct, réduits avec les lions et les ours à une vie purement animale, sont demeurés plongés dans la barbarie et dans la misère.

« La Grèce seule, dans les anciens temps, pensa et s’éleva par l’esprit à tout ce qui peut rendre un peuple recommandable. Des philosophes formèrent ses mœurs et lui donnèrent des lois.

« Sparte, il est vrai, fut pauvre et ignorante par institution et par choix ; mais ses lois avaient de grands défauts, ses citoyens un grand penchant à se laisser corrompre ; sa gloire fut peu solide, et elle perdit bientôt ses institutions, ses lois, et ses mœurs.

« Athènes et Rome dégénérèrent aussi. L’une céda à la fortune de la Macédoine ; l’autre succomba sous sa propre grandeur, parce que les lois d’une petite ville n’étaient pas faites pour gouverner le monde. S’il est arrivé quelquefois que la gloire des grands empires n’ait pas duré long-temps avec celle des lettres, c’est qu’elle était à son comble lorsque les lettres y ont été cultivées, et que c’est le sort des choses humaines de ne pas durer long-temps dans le même état. En accordant donc que l’altération des lois et des mœurs