Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/175

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des âmes lâches, ils sont seulement fourbes et fripons. Quant aux vices qui supposent du courage et de la fermeté, je les en crois incapables.

8° Le luxe peut être nécessaire pour donner du pain aux pauvres ; mais, s’il n’y avait point de luxe, il n’y aurait point de pauvres[1]. Il occupe les citoyens oisifs. Et pourquoi y a-t-il des citoyens oisifs ? Quand l’agriculture était en honneur, il n’y avait ni misère ni oisiveté, et il y avait beaucoup moins de vices.

9° Je vois qu’on a fort à cœur cette cause du luxe, qu’on feint pourtant de vouloir séparer de celle des sciences et des arts. Je conviendrai donc, puisqu’on le veut si absolument, que le luxe sert au soutien des états, comme les cariatides servent à soutenir les palais qu’elles décorent ; ou plutôt, comme ces poutres dont on étaie des bâtiments pourris, et qui souvent achèvent de les renverser. Hommes sages et prudents, sortez de toute maison qu’on étaie.

Ceci peut montrer combien il me serait aisé de

  1. Le luxe nourrit cent pauvres dans nos villes, et en fait périr cent mille dans nos campagnes. L’argent qui circule entre les mains des riches et des artistes pour fournir à leurs superfluités est perdu pour la subsistance du laboureur ; et celui-ci n’a point d’habit, précisément parce qu’il faut du galon aux autres. Le gaspillage des matières qui servent à la nourriture des hommes suffit seul pour rendre le luxe odieux à l’humanité. Mes adversaires sont bien heureux que la coupable délicatesse de notre langue m’empêche d’entrer là-dessus dans des détails qui les feraient rougir de la cause qu’ils osent défendre. Il faut des jus dans nos cuisines, voilà pourquoi tant de malades manquent de bouillon. Il faut des liqueurs sur nos tables, voilà pourquoi le paysan ne boit que de l’eau. Il faut de la poudre à nos perruques, voilà pourquoi tant de pauvres n’ont point de pain.