Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/185

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siècles ; « tandis que les autres voient disparaître leurs idées avec le jour, la circonstance, le moment qui les a vues naître. Chez les trois quarts des hommes, le lendemain efface la veille, sans qu’il en reste la moindre trace. » Ah ! il en reste au moins quelqu’une dans le témoignage d’une bonne conscience, dans les malheureux qu’on a soulagés, dans les bonnes actions qu’on a faites, et dans la mémoire de ce Dieu bienfaisant qu’on aura servi en silence. « Mort ou vivant, disait le bon Socrate, l’homme de bien n’est jamais oublié des dieux. » On me répondra peut-être que ce n’est pas de ces sortes de pensées qu’on a voulu parler ; et moi je dis que toutes les autres ne valent pas la peine qu’on en parle.

Il est aisé de s’imaginer que, faisant si peu de cas de Sparte, on ne montre guère plus d’estime pour les anciens Romains. « On consent à croire que c’étaient de grands hommes, quoiqu’ils ne fissent que de petites choses. » Sur ce pied-là j’avoue qu’il y a long-temps qu’on n’en fait plus que de grandes. On reproche à leur tempérance et à leur courage de n’avoir pas été de vraies vertus, mais des qualités forcées[1]. Cependant, quelques pages

  1. « Ie veois la pluspart des esprits de mon temps faire les ingenieux à obscurcir la gloire des belles et généreuses actions anciennes, leur donnant quelque interprétation vile, et leur controuvant des occasions et des causes vaines : grande subtilité ! Qu’on me donne l’action la plus excellente, et pure, ie m’en voys y fournir vraysemblablement cinquante vicieuses intentions. Dieu sçait, à qui les veut estendre, quelle diversité d’images ne souffre nostre interne volonté ! Ils ne font pas tant malicieusement que lourdement et grossièrement les ingénieux à tout leur mesdisance.