Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/186

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après, on avoue que Fabricius méprisait l’or de Pyrrhus, et l’on ne peut ignorer que l’histoire romaine est pleine d’exemples de la facilité qu’eussent eue à s’enrichir ces magistrats, ces guerriers vénérables, qui fesaient tant de cas de leur pauvreté[1]. Quant au courage, ne sait-on pas que la lâcheté ne saurait entendre raison, et qu’un poltron ne laisse pas de fuir, quoique sûr d’être tué en fuyant ?

« C’est, dit-on, vouloir contraindre un homme fort et robuste à bégayer dans un berceau, que de vouloir rappeler les grands états aux petites vertus des petites républiques. » Voilà une phrase qui ne doit pas être nouvelle dans les cours. Elle eût été très-digne de Tibère ou de Catherine de Médicis ; et je ne doute pas que l’un et l’autre n’en aient souvent employé de semblables.

Il serait difficile d’imaginer qu’il fallût mesurer la

    La mesme peine qu’on prend à detracter de ces grands noms, et la mesme licence, ie la prendrois volontiers à leur prester quelque tour d’espaule à les haulser. Ces rares figures, et triées pour l’exemple du monde par le consentement des sages, ie ne me feindrois pas de les recharger d’honneur, autant que mon invention pourroit, en interprétation et favorable circonstance ; mais il fault croire que les efforts de nostre conception sont loing au dessoubs de leur mérite. C’est l’office des gents de bien de peindre la vertu la plus belle qui se puisse ; et ne nous messieroit pas, quand la passion nous transporteroit à la faveur de si sainctes formes. » Ce n’est pas Rousseau qui dit tout cela, c’est Montaigne. (Liv. i. c. xxxvi.)

  1. Curius, refusant les présents des Samnites, disait qu’il aimait mieux commander à ceux qui avaient de l’or que d’en avoir lui-même. Curius avait raison. Ceux qui aiment les richesses sont faits pour servir, et ceux qui les méprisent pour commander. Ce n’est pas la force de l’or qui asservit les pauvres aux riches, mais c’est qu’ils veulent s’enrichir à leur tour ; sans cela ils seraient nécessairement les maîtres.