Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/220

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pour nous de redevenir honnêtes gens ; c’est de nous hâter de proscrire la science et les savants, de brûler nos bibliothèques, fermer nos académies, nos collèges, nos universités, et de nous replonger dans toute la barbarie des premiers siècles. »

Voilà ce que mes adversaires ont très-bien réfuté : aussi, jamais n’ai-je dit ni pensé un seul mot de tout cela, et l’on ne saurait rien imaginer de plus opposé à mon système que cette absurde doctrine qu’ils ont la bonté de m’attribuer. Mais voici ce que j’ai dit, et qu’on n’a point réfuté.

Ils s’agissait de savoir si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer nos mœurs. En montrant, comme je l’ai fait, que nos mœurs ne se sont point épurées[1], la question était à peu près résolue.

Mais elle en renfermait implicitement une autre

  1. Quand j’ai dit que nos mœurs s’étaient corrompues, je n’ai pas prétendu dire pour cela que celles de nos aïeux fussent bonnes, mais seulement que les nôtres étaient encore pires. Il y a parmi les hommes mille sources de corruption ; et quoique les sciences soient peut-être la plus abondante et la plus rapide, il s’en faut bien que ce soit la seule. La ruine de l’empire romain, les invasions d’une multitude de barbares ont fait un mélange de tous les peuples, qui a dû nécessairement détruire les mœurs et les coutumes de chacun d’eux. Les croisades, le commerce, la découverte des Indes, la navigation, les voyages de long cours, et d’autres causes encore que je ne veux pas dire, ont entretenu et augmenté le désordre. Tout ce qui facilite la communication entre les diverses nations, porte aux unes, non les vertus des autres, mais leurs crimes, et altère, chez toutes, les mœurs qui sont propres à leur climat et à la constitution de leur gouvernement. Les sciences n’ont donc pas fait tout le mal ; elles y ont seulement leur bonne part ; et celui surtout qui leur appartient en propre, c’est d’avoir donné à nos vices une couleur agréable, un certain air honnête qui nous empêche d’en avoir