Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/312

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blables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! Mais il y a grande apparence qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature. Reprenons donc les choses de plus haut et tâchons de rassembler sous un seul point de vue cette lente succession d’événements et de connaissances dans leur ordre le plus naturel.

Le premier sentiment de l’homme fut celui de son existence ; son premier soin celui de sa conservation. Les productions de la terre lui fournissaient tous les secours nécessaires ; l’instinct le porta à en faire usage. La faim, d’autres appétits, lui faisant éprouver tour à tour diverses manières d’exister, il y en eut une qui l’invita à perpétuer son espèce ; et ce penchant aveugle, dépourvu de tout sentiment du cœur, ne produisait qu’un acte purement animal : le besoin satisfait, les deux sexes ne se reconnaissaient plus, et l’enfant même n’était plus rien à la mère sitôt qu’il pouvait se passer d’elle.

Telle fut la condition de l’homme naissant ; telle fut la vie d’un animal borné d’abord aux pures sensations, et profitant à peine des dons que lui