Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/339

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tranquille. Ce n’est donc pas par l’avilissement des peuples asservis qu’il faut juger des dispositions naturelles de l’homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu’ont faits tous les peuples libres pour se garantir de l’oppression. Je sais que les premiers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant ; mais quand je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance et la vie même à la conservation de ce seul bien si dédaigné de ceux qui l’ont perdu ; quand je vois des animaux nés libres et abhorrant la captivité se briser la tête contre les barreaux de leur prison, quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés européennes et braver la faim, le feu, le fer et la mort pour ne conserver que leur indépendance, je sens que ce n’est pas à des esclaves qu’il appartient de raisonner de liberté.

Quant à l’autorité paternelle dont plusieurs on fait dériver le gouvernement absolu et toute la société, sans recourir aux preuves contraires de Locke et de Sidney, il suffit de remarquer que rien au monde n’est plus éloigné de l’esprit féroce du despotisme que la douceur de cette autorité qui regarde plus à l’avantage de celui qui obéit qu’à l’utilité de celui qui commande ; que par la loi de nature le père n’est le maître de l’enfant qu’aussi longtemps que son secours lui est nécessaire, qu’au-delà de ce terme ils deviennent égaux