Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/62

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Nous ne savons, ni les sophistes, ni les poètes, ni les orateurs, ni les artistes, ni moi, ce que c’est que le vrai, le bon, et le beau. Mais il y a entre nous cette différence, que, quoique ces gens ne sachent rien, tous croient savoir quelque chose : au lieu que moi, si je ne sais rien, au moins je n’en suis pas en doute. De sorte que toute cette supériorité de sagesse qui m’est accordée par l’oracle se réduit seulement à être bien convaincu que j’ignore ce que je ne sais pas. »

Voilà donc le plus sage des hommes au jugement des dieux, et le plus savant des Athéniens au sentiment de la Grèce entière, Socrate, faisant l’éloge de l’ignorance ! Croit-on que, s’il ressuscitait parmi nous, nos savants et nos artistes lui feraient changer d’avis ? Non, messieurs : cet homme juste continuerait de mépriser nos vaines sciences ; il n’aiderait point à grossir cette foule de livres dont on nous inonde de toutes parts, et ne laisserait, comme il a fait, pour tout précepte à ses disciples et à nos neveux, que l’exemple et la mémoire de sa vertu. C’est ainsi qu’il est beau d’instruire les hommes.

Socrate avait commencé dans Athènes, le vieux Caton continua dans Rome, de se déchaîner contre ces Grecs artificieux et subtils qui séduisaient la vertu et amollissaient le courage de ses concitoyens. Mais les sciences, les arts, et la dialectique, prévalurent encore : Rome se remplit de philosophes et d’orateurs ; on négligea la discipline militaire, on méprisa l’agriculture, on embrassa