Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/83

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siècle, et portez ensemble aux siècles à venir une histoire fidèle du progrès et des avantages de nos sciences et de nos arts. S’ils vous lisent, vous ne leur laisserez aucune perplexité sur la question que nous agitons aujourd’hui ; et, à moins qu’ils ne soient plus insensés que nous, ils lèveront leurs mains au ciel, et diront dans l’amertume de leur cœur : « Dieu tout puissant, toi qui tiens dans tes mains les esprits, délivre-nous des lumières et des funestes arts de nos pères, et rends-nous l’ignorance, l’innocence, et la pauvreté, les seuls biens qui puissent faire notre bonheur et qui soient précieux devant toi. »

Mais si le progrès des sciences et des arts n’a rien ajouté à notre véritable félicité ; s’il a corrompu nos mœurs, et si la corruption des mœurs a porté atteinte à la pureté du goût, que penserons-nous de cette foule d’auteurs élémentaires qui ont écarté du temple des muses les difficultés qui défendaient son abord, et que la nature y avait répandues comme une épreuve des forces de ceux : qui seraient tentés de savoir ? Que penserons-nous de ces compilateurs d’ouvrages qui ont indiscrètement brisé la porte des sciences et introduit dans leur sanctuaire une populace indigne d’en approcher, tandis qu’il serait à souhaiter que tous ceux qui ne pouvaient avancer loin dans la carrière des lettres eussent été rebutés dès l’entrée, et se fussent jetés dans des arts utiles à la société ? Tel qui sera toute sa vie un mauvais versificateur, un géomètre subalterne, serait peut-être devenu un grand fabrica-