Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/84

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teur d’étoffes. Il n’a point fallu de maîtres à ceux que la nature destinait à faire des disciples. Les Verulam, les Descartes, et les Newton, ces précepteurs du genre humain, n’en ont point eu eux-mêmes ; et quels guides les eussent conduits jusqu’où leur vaste génie les a portés ? Des maîtres ordinaires n’auraient pu que rétrécir leur entendement en le resserrant dans l’étroite capacité du leur. C’est par les premiers obstacles qu’ils ont appris à faire des efforts, et qu’ils se sont exercés à franchir l’espace immense qu’ils ont parcouru. S’il faut permettre à quelques hommes de se livrer à l’étude des sciences et des arts, ce n’est qu’à ceux qui se sentiront la force de marcher seuls sur leurs traces, et de les devancer ; c’est à ce petit nombre qu’il appartient d’élever des monuments à la gloire de l’esprit humain. Mais si l’on veut que rien ne soit au-dessus de leur génie, il faut que rien ne soit au-dessus de leurs espérances ; voilà l’unique encouragement dont ils ont besoin. L’âme se proportionne insensiblement aux objets qui l’occupent, et ce sont les grandes occasions qui font les grands hommes. Le prince de l’éloquence fut consul de Rome ; et le plus grand peut-être des philosophes, chancelier d’Angleterre. Croit-on que si l’un n’eût occupé qu’une chaire dans quelque université, et que l’autre n’eût obtenu qu’une modique pension d’académie ; croit-on, dis-je, que leurs ouvrages ne se sentiraient pas de leur état ? Que les rois ne dédaignent donc pas d’admettre dans leurs conseils les gens les plus capables de les bien conseiller ;