Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre côté, si ma réplique en devient plus difficile, elle en devient aussi moins nécessaire ; car on n’a jamais ouï dire qu’un peintre qui expose en public un tableau soit obligé de visiter les yeux des spectateurs, et de fournir des lunettes à tous ceux qui en ont besoin.

D’ailleurs, il n’est pas bien sûr que je me fisse entendre, même en répliquant. Par exemple, je sais, dirais-je à M. Gautier, que nos soldats ne sont point des Réaumur et des Fontenelle ; et c’est tant pis pour eux, pour nous, et surtout pour les ennemis. Je sais qu’ils ne savent rien, qu’ils sont brutaux et grossiers ; et toutefois j’ai dit, et je dis encore, qu’ils sont énervés par les sciences qu’ils méprisent, et par les beaux-arts qu’ils ignorent. C’est un des grands inconvénients de la culture des lettres, que, pour quelques hommes qu’elles éclairent, elles corrompent à pure perte toute une nation. Or, vous voyez bien, monsieur, que ceci ne serait qu’un autre paradoxe inexplicable pour M. Gautier ; pour ce M. Gautier qui me demande fièrement ce que les troupes ont de commun avec les académies ; si les soldats en auront plus de bravoure pour être mal vêtus et mal nourris ; ce que je veux dire en avançant qu’à force d’honorer les talents on néglige les vertus ; et d’autres questions semblables, qui toutes montrent qu’il est impossible d’y répondre intelligiblement au gré de celui qui les fait. Je crois que vous conviendrez que ce n’est pas la peine de m’expliquer une seconde fois pour n’être pas mieux entendu que la première.