Page:Roussel - Impressions d Afrique (1910).djvu/120

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Pourtant la reprise continuelle de l’unique phrase, éternellement pareille, engendra peu à peu une intense monotonie, accentuée par les inévitables chances de durée qu’offrait la Jéroukka, relation fidèle où tenait la vie entière de l’empereur, dont les hauts faits étaient nombreux.

Le texte ponukéléien, entièrement inaccessible à des oreilles européennes, se déroulait en strophes confuses, sans doute pleines d’événements capitaux, et la nuit tombait progressivement sans que rien fît prévoir le terme de cette fastidieuse mélopée.

Soudain, alors qu’on désespérait de jamais atteindre au vers final, le chœur, s’arrêtant de lui-même, fut remplacé par une voix de cantatrice, ― voix merveilleuse et pénétrante qui résonnait avec pureté dans la pénombre déjà opaque.

Tous les yeux, cherchant l’endroit d’où partait ce nouveau chant, découvrirent Carmichaël, qui, debout à l’extrémité gauche devant le premier rang des choristes, achevait la Jéroukka en phrasant solitairement, sans rien changer au motif musical, le chapitre additionnel consacré à la Bataille du Tez.

Sa miraculeuse voix de tête, copiant à s’y méprendre les vibrations d’un gosier féminin, se développait à souhait dans la grande sonorité du plein air, sans paraître gênée par la difficile prononciation