Page:Roussel - La Vue, 1904.djvu/229

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Se fixe au loin, devient insaisissable, terne ;
C’est qu’elle pense à la dernière baliverne
Qu’elle a contée à voix basse, et dont un détail
Se transmet seulement derrière l’éventail.
L’homme qui lui débite une histoire est sans gêne ;
C’est un vieillard sanguin, solide comme un chêne ;
Il n’a jamais souffert d’un malaise ; il fera
De très vieux os et, sans scrupule, enterrera
Les plus pressés de ses héritiers ; il ne mâche
Ses paroles pour qui que ce soit et vous lâche,
En pleine table, son plus sonore juron.
Il se vante d’avoir fait un fameux luron
Au temps échevelé de sa belle jeunesse ;
Il pense à son joyeux passé, brode sans cesse
Sur le thème de ses aventures d’amour :
Il ne lambinait pas, conquérait tour à tour
Fillettes d’atelier, mondaines, maritornes,
S’amusait bien quand il faisait porter des cornes
Aux maris, qui jamais n’y voyaient que du feu,
Tant il savait cacher habilement son jeu.