Page:Roussel - Locus Solus, 1914.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’air derrière son dos sous le pseudo-rayon de soleil, s’offrait à sa vue dans la lunule de son ongle, si prodigieusement réfléchissant.

Immédiatement après leur chute, le vieillard avait essayé de saisir à terre le pli et la fleur ensanglantés. Or, au moins octogénaire d’aspect, il ne put, faute d’élasticité, se baisser suffisamment pour les atteindre. Braquant alors ses regards sur le groom, il jeta ce romantique mot d’appel : « Tigre », en désignant le trottoir du doigt.

Docilement l’adolescent vint ramasser les deux choses légères, qu’il voulut rendre à l’intéressée.

Mais cette dernière, après avoir frémi à l’audition du terme, suranné dans l’acception en jeu, dont s’était servi le vieillard, exécutait maintenant, sous l’empire de quelque hallucination, une série de gestes d’épouvante, en prononçant des phrases entrecoupées, où ces trois mots : père, tigre et sang revenaient sans cesse.

Puis elle versa manifestement dans l’absolue démence, tandis que, volant à son secours, l’homme aux vêtements noirs, qui, depuis le début, avait suivi la scène avec émotion, l’entraînait à petits pas vers l’intérieur de l’hôtel.