Page:Roussel - Locus Solus, 1914.djvu/266

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de famille payaient collectivement, au prix de lourds sacrifices, l’internat dans un lycée parisien, Jerjeck avait grandi loin de tout foyer.

Les plus belles joies de sa vie d’enfant étaient les longues visites faites en troupe aux musées par les dimanches pluvieux. Aux lendemains de ces journées bénies, il s’essayait de mémoire à reproduire tel tableau en dessinant sur ses cahiers ou telle statue en pétrissant un bloc de mie distrait de son pain.

Au Louvre, un jour, ses regards furent médusés par le Gilles de Watteau, qu’il s’acharna, par la suite, à copier d’après son souvenir. Mais nul croquis ne le contentait. Attribuant avec raison ses déboires à la gênante pénurie de traits de plume qui, exigée par la totale blancheur du personnage enfariné, créait une grave difficulté, il imagina un subterfuge propre à lui donner au moins l’illusion d’une besogne plus copieuse.

Il noircit d’encre une page entière — puis, à l’aide d’un grattoir, quand tout fut sec, fit, dans un coin, apparaître son Gilles par élimination.

D’emblée ce procédé le conduisit au succès, tant l’inspirait la venue progressive sur fond