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22 Novembre.

Le vent s’est élevé, et la mer moutonne. J’aime cette expression qui me représente la mer comme des pâturages sans limites, couverts d’innombrables troupeaux de brebis blanches. Ce matin, c’était de charmants agneaux sautillant légèrement dans la verdure ; mais à présent ce sont des béliers qui bondissent, et leurs mugissements les feraient prendre pour des buffles.

C’est à eux, sans doute, que pensait le psalmiste quand il demandait aux montagnes pourquoi elles bondissaient comme des béliers ; car en mer les deux se ressemblent, et les spécimens de l’espèce ovine qui gambadent en ce moment autour du navire ont presque la taille des montagnes.

Je comprends pourquoi les flots courroucés du lac de Tibériade obéissaient si bien à la voix du Christ ; c’est qu’ils reconnaissaient en lui le Pasteur universel. Ô divin berger ! il faudrait bien votre houlette pour rassembler aujourd’hui l’immense troupeau échappé de la bergerie.


23 Novembre.

La nuit vient déjà, et le ciel est sombre. Une grande brise de l’Ouest nous poursuit ; mais le Parisian se sauve si bien qu’elle a quelque peine à le suivre. Dans la nuit, le steamer ressemble à un monstre de fer gigantesque, qu’un esprit mystérieux anime, et qui fait une course fantastique au-dessus de l’abîme. Les vagues se dressent en vain devant lui ; il les brise avec fracas, il les réduit en écume, il les lance au loin, il creuse au