Page:Routhier - À travers l'Europe, impressions et paysages, Vol 1, 1881.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui permet de traverser sain et sauf ses immenses et dangereuses solitudes.

Mais quand elle entre en fureur, elle devient horrible à voir. Sa surface sombre, hérissée, entrecoupée d’abîmes sans fond, se soulève à des hauteurs immenses et se creuse à des profondeurs vertigineuses. De toutes parts ses vagues accourent en mugissant, elles se rassemblent, elles s’entassent, elles entourent le navire comme une tourbe hurlante ; elles l’assaillent, elles le secouent, elles le frappent, elles l’envahissent, elles l’inondent d’écume et sa résistance redouble leur fureur. C’est alors que le navire a besoin d’être solide et bien dirigé pour n’être pas englouti !

De même en est-il de l’humanité. Quand elle est en paix avec elle-même et avec son Créateur, elle offre à nos regards un spectacle admirable de tranquillité et d’harmonie. Elle réfléchit le ciel en reproduisant dans ses codes et ses institutions les lois de Dieu avec leurs éternelles clartés. Elle nous laisse voir dans ses flots les écueils que la nature y a semés, et que nous devons éviter pour traverser la vie, elle nous soutient et nous ouvre une chemin pour parvenir au port.

Mais que son aspect est différent quand elle devient la proie des tempêtes sociales et des révolutions ! Les ténèbres du doute l’envahissent, la vérité s’éclipse, les passions, les intérêts, les ambitions se soulèvent, se heurtent, se coalisent, et la guerre de destruction commence. Hélas ! À quels tristes naufrages nous sommes alors exposés !