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La mer et l’humanité engendrent elles-mêmes les orages qui les troublent si profondément. Comme l’Océan donne naissance aux nuages qui font les tempêtes, ainsi les peuples sont les artisans de leur propre perdition !

Mais les nuages ne s’élèvent pas des étangs et des ruisseaux et les révolutions ne naissent pas dans les petites campagnes et les villages. Ce sont les grandes agglomérations d’hommes qui bouleversent les sociétés. Multitudo mater est seditionis, dit Saint Jean Chrysostome !

Les flots et les hommes sont également tumultueux. Pour soulever les premiers, il y a le vent ! Pour agiter les seconds, il y a la liberté !

Le vent et la liberté se ressemblent. Tous deux sont difficiles à saisir, plus difficiles encore à gouverner. Tous deux sont bruyants et sonores, irréguliers et impérieux, bienfaisants parfois et parfois destructeurs, nécessaires cependant, et poussant en avant quand ils sont bien dirigés ! Rageurs par nature, brisant ce qui résiste et courbant ce qui plie.

La mer qui s’abandonne à la fureur du vent va se briser sur les écueils, et l’humanité emportée par la liberté mal comprise se heurte aux révolutions qui la déciment.

Or malgré toutes ces analogies, il y a entre la vague et l’homme une dissemblance fondamentale. L’une ne franchit jamais les limites que Dieu lui a tracées, tandis que l’autre dépasse constamment les bornes mises à sa liberté.