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L’ANGLETERRE

J’en suis sorti tout ému, et le souvenir de cet homme que j’ai si bien connu, et qui fut sans contredit l’une de nos plus grandes gloires nationales, me poursuit.

Qui nous dira les pensées qui ont dû traverser sa forte tête dans cette lutte suprême qu’il a soutenue contre la mort, lui qui avait tant combattu et remporté tant de victoires pendant vingt-cinq ans.

Qui nous dira les angoisses de sa famille désolée, dans ce jour terrible qui lui apportait à la fois l’isolement et l’exil !

Je me suis rappelé toutes les circonstances de son départ du Canada. Avec un grand nombre de ses amis, j’étais allé lui serrer la main à bord du steamer, et je l’avais trouvé bien altéré par la maladie. Mais en prenant la parole pour répondre à notre adresse, toute son énergie lui était revenue. Un moment son œil vif s’était rallumé, et les éclats de sa voix avaient couvert le bruit des flots et du vent. Soudain le sifflet du navire avait mugi, et il avait été forcé de s’interrompre ; mais une minute après il avait repris son discours en disant : « Vous voyez, mes amis, combien de temps ce terrible sifflet m’a interrompu ; eh bien, il en sera de même de ma défaite politique et de ma maladie : elles ne feront qu’interrompre un instant ma carrière ; elles ne la briseront pas ! »

Hélas ! cette confiance dans l’avenir qu’il s’efforçait de nous inspirer, il ne l’avait plus lui-même. Car le lendemain il disait au capitaine du vaisseau,