Page:Routhier - Conférence sur Sir Georges-É. Cartier, 1912.djvu/6

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être proposées comme modèles à l’imitation des foules dans un langage plus éloquent et plus indélébile.

Eh ! bien, Mesdames et Messieurs, c’est pour vous inviter à participer à ce culte patriotique que le comité du monument Cartier nous a réunis ce soir. Il s’agit de faire revivre dans le granit et le bronze un de nos concitoyens les plus illustres, mort il y a près de quarante ans, et l’on m’a chargé de vous démontrer qu’il est bien digne de prendre rang parmi les immortels.

C’est une tâche honorable et difficile ; mais il me semble qu’elle est plus facile à Montréal qu’ailleurs, et que je vais parler ici à des auditeurs déjà convaincus. En effet, si le Canada tout entier est tenu d’honorer la mémoire de Sir Georges-Étienne Cartier, il est bien évident que c’est un devoir beaucoup plus impérieux pour la grande et riche cité de Montréal.

Celui qu’on a justement appelé le Père de la Confédération fut, à proprement parler, un Montréalais. Il a vécu parmi vous. Il a été le bienfaiteur de votre ville somptueuse, et il est aujourd’hui sa gloire incontestée.

Le monument qui va lui être élevé, et auquel toute la Puissance du Canada voudra contribuer, sera sans doute colossal et très beau. Et cependant, Mesdames et Messieurs, je vais essayer de vous montrer un monument plus grand, plus beau, et plus impérissable — celui des œuvres nationales que Sir Georges-Étienne Cartier a fondées sur notre sol, et qui lui survivront à jamais.

Il faudrait tout un volume pour vous les faire bien connaître, et cet ouvrage a déjà été fait, supérieurement fait, par M. Decelles, d’Ottawa. Mon travail sera plus modeste, et inévitablement incomplet.

Je vous raconterai d’abord, aussi brièvement que possible, les évènements biographiques les plus intéressants, et nous tâcherons ensuite de juger l’homme et son œuvre, avec impartialité et justice.


I


Georges-Étienne Cartier est né le 6 septembre 1814, à Saint-Antoine, sur les bords de cette jolie rivière Richelieu, dont les deux rives sont si pittoresques et si verdoyantes. Vous connaissez tous cet admirable coin de notre province dont les paysages sont aussi variés que charmants, et dont les villages échelonnés sur les deux rives semblent épris d’une mutuelle admiration, et se saluent trois fois par jour du haut de leurs clochers, en souvenir de la glorieuse salutation de l’ange Gabriel à Marie.

C’est dans cet Éden champêtre que le jeune Cartier vit s’écouler sa paisible enfance ; et l’on n’est pas étonné que vers sa vingtième année il se soit cru poète. C’était la poésie du paysage qui lui donnait cette illusion ; et c’est alors qu’il composa cette chanson en prose rimée que vous connaissez, et qui fut sauvée de l’oubli par son refrain patriotique :

« Ô Canada, mon pays, mes amours ! »

Elle est datée de 1835.

Qui aurait pu prévoir alors que ce petit paradis terrestre, si bien fait pour les amours et les idylles, serait deux ans après le théâtre de la guerre civile, et qu’on y verrait le jeune disciple des Muses transformé en soldat rebelle contre l’Angleterre ? L’Angleterre, dont il devait être plus tard, le serviteur le plus loyal et l’admirateur le plus fervent ?

Cependant cette rébellion du jeune et ardent patriote ne dut pas surprendre ceux qui chantaient alors sa chanson patriotique ; car l’un de ses couplets était dirigé contre Albion et l’accusait de parjure.

Ô folle jeunesse, qui courtisait les Muses, malgré elles, et qui se donnait le luxe de choisir pour ennemie la puissante Angleterre ? Le jeune rebelle sut disparaître à temps pour