Page:Routhier - De Québec à Victoria, 1893.djvu/303

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À distance, tous ces chœurs différents alternés et mêlés formaient une harmonie étrange, puissante et pleine de vibrations émouvantes. Je me demandais s’il n’y avait pas au-dessus de moi dans les sphères supérieures un concert d’êtres surnaturels.

Le spectacle auquel j’assistais allait être la représentation du plus grand des drames, et je songeais aux chœurs des tragédies antiques, surtout à ceux du Prométhée d’Eschyle ; mais ce que je voyais et entendais était plus beau parce que c’était plus vrai.

Le vrai Prométhée, je l’avais sous les yeux. Au sommet de la colline, figure du Calvaire, son divin corps resplendissait dans sa blancheur immaculée, couvert de la pourpre de son sang. Comme le héros d’Eschyle, il était cloué à son gibet, le côté ouvert, pour que le vautour de l’impiété puisse continuer toujours de dévorer ce cœur dont le sang est aussi inépuisable que l’amour. Et la procession montait toujours en chantant, décrivant un grand M sur le flanc de la colline dramatique, au milieu des oriflammes flottantes et des guirlandes de verdure. Et dans les bois voisins, les oiseaux mêlaient leurs voix à celles des hommes, et s’élançaient vers le ciel avec de grands coups d’ailes et des cris d’amour.

Ah ! sans doute, si le monde surnaturel nous avait alors révélé ses mouvements mystérieux et invisibles, nous aurions vu des essaims d’âmes s’élançant aussi