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Page:Routhier - De Québec à Victoria, 1893.djvu/336

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Au-dessus, c’est le grenier, dans lequel j’ai découpé deux autres chambres.

« A cent pas de ma porte, au fond d’un vallon, qui est bien à moi puisque je l’habite seul, serpente une petite rivière, bordée de peupliers, de trembles, de buis, de ronces et d’autres arbustes dont j’ignore les noms. Elle est toute pavée de cailloux, et poissonneuse. L’eau qu’elle me verse descend des glaciers éternels, et elle est fraîche, claire et inépuisable comme eux.

« Elle bruit, elle chante, elle fait un accompagnement, aux chansons du vent dans les feuilles, et quand vient le calme du soir, j’écoute leur duo avec ravissement.

« Il est monotone, mais plein d’harmonie, et imprégné de tristesses et de sourires qui font rêver.

« Je me demande alors si je suis seul au monde, comme Adam dans l’Eden, ou s’il y a vraiment ailleurs des êtres vivants.

« Tu ne connais pas l’orgueil et la jouissance de la souveraineté ; moi, je les connais. Mon ranche est un petit royaume dont je suis le souverain. Sans doute, c’est la souveraineté de la solitude ; mais à tout prendre, ne vaut-elle pas mieux que celle de la multitude ?

« Au reste, ma solitude n’est pas aussi absolue que tu te l’imagines. J’ai des voisins et mêmes des voisines. Sans doute, des distances de quelques milles nous séparent. Mais cela ne compte pas ici ; nous avons