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leur race, entrant pleins d’une noble ambition dans une carrière pleine de promesses, et s’effondrant quelques années après dans la honte et l’oubli, comme un navire qui frappe un écueil et qui sombre dans la nuit.

Il m’est arrivé de les revoir alors, et j’en ai eu le cœur brisé, Ces instruments harmonieux que j’avais admirés au Palais, dont les cordes vivraient au moindre souffle du Beau et du Bien, étaient totalement détruits. Rien ne vibrait plus en eux : ni cœur, ni intelligence, ni honneur. Vertu, courage, énergie, sens moral, aspirations vers un idéal quelconque, talents, santé, beauté, tout était perdu.

Les malheureux n’avaient plus même d’amour ! Ils ne pouvaient plus aimer ni les auteurs de leurs jours, qu’ils faisaient mourir de chagrin, et qui les chérissaient encore, ni les fidèles compagnes de leur vie, qui avaient tout sacrifié pour eux, dont le cœur restait ouvert à leur affection, et qui avaient l’héroïque vertu d’endurer leur martyre !

Est-ce tout ? Hélas ! non. Le malheur des malheurs, c’est que tout ne finit pas avec la mort de l’ivrogne. La déchéance paternelle se perpétue dans ses enfants. Victimes innocentes, une malédiction fatale semble planer sur eux, et ils ont dans le sang le vice de leur père !

Ah ! messieurs, l’alcool est mille fois plus coupable que le roi de Thèbes, et c’est lui qui doit être proscrit sans pitié de nos villes et de nos campagnes : car il est le grand ennemi de notre avenir national ! Chassons-le de ville en ville, de pays en pays, jusqu’à ce qu’il s’en retourne vers son père, qui est Satan.

Parmi les vices qui déshonorent la nature humaine il en est plusieurs qui n’affectent guère que l’individu, et qui peuvent être tenus plus ou moins secrets, de façon qu’il n’en résulte ni scandale, ni contagion. C’est tel citoyen ou telle famille qui en souffre individuellement ; mais le corps social n’en est pas généralement infecté.

L’alcoolisme est au contraire un vice inévitablement social.

L’alcoolique ne boit pas seul, il lui faut des compagnons, Il lui faut la taverne, où il y a rassemblement nocturne et orgie. L’ivresse qu’il y trouve, il faut qu’il la promène dans les stations de police et devant les tribunaux, avant de l’apporter, la nuit, dans le sanctuaire de la famille.

Et voilà comment l’alcoolisme devient contagieux, et un péril pour une race.

Messieurs, la conscience d’un peuple est un œil qui n’est pas toujours ouvert, ou qui parfois regarde et ne voit pas. Trop