Page:Routhier - La tempérance et les destinées du Canada, 1911.djvu/10

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stimule vraiment que les pulsions mauvaises. Il abrutit tout ce qu’il y a de noble, de généreux, d’élevé, de divin dans l’âme !

Dans les familles, il détruit tous les sentiments d’amour paternel, d’amour filial, d’honneur, de respect, d’autorité ; il fait de la mère de famille une martyre, et du foyer domestique, un bouge de pauvreté et de misère, où germe la tuberculose.

Dans la nation, il produit l’immoralité, l’irréligion et la dégénérescence de la race. Les prisons, les asiles d’aliénés et les hôpitaux sont remplis de ses victimes.

Voilà, messieurs, les réalités que donne Sa Majesté alcoolique et qui contrastent violemment avec les belles promesses que vous avez entendues. Et le mal qu’elle fait est d’autant plus étendu qu’elle ne loge pas seulement dans les palais, comme les autres souverains. Elle trône partout, dans les plus pauvres tavernes comme dans les hôtels somptueux, dans la mansarde comme dans le salon, dans la chaumière du paysan et sous la tente du soldat. Où il n’y a pas de place pour son trône, il y a place pour ses comptoirs, et l’attraction est partout irrésistible

Le cabaret le plus sale a ses clients. Il est pour eux ce qu’est la lampe éblouissante pour les papillons de nuit. Il les attire, il les fascine, et ils tournent autour de lui jusqu’à ce qu’ils s’y brûlent les ailes.

Le cabaret aux fenêtres borgnes et un fanal rouge est pour les ouvriers ce qu’est le remous ou le gouffre pour les bateaux légers : dès qu’ils s’en approchent, ils sont saisis par je ne sais quels courants irrésistibles, qui les entraînent et les précipitent dans le tourbillon.

Rappelez vos souvenirs, messieurs. Que de jeunes gens vous avez vus briller dans le monde comme des astres, et qui ont disparu sous l’horizon comme des étoiles filantes, ou qui sont morts misérablement au fond d’une oubliette !

Combien de pères de famille, jeunes encore, honorables pourtant et bons citoyens, qui auraient pu se faire un bel avenir, et qui ont été perdus par l’alcoolisme ! À l’âge de 40 ans ils étaient des vieillards, blanchis, ridés, perclus, tremblants, dont on disait en les voyant passer : quelles ruines ! Et puis, ils descendaient graduellement dans les sous-sols fangeux de la société, où chaque effort qu’ils faisaient pour remonter les enfonçait davantage. C’était l’enlisement social, ou l’enfouissement dans la honte.

Que j’en ai connu moi-même, au Barreau, de ces fils de famille, dans l’épanouissement de la jeunesse, beaux de corps, fiers et nobles d’attitude, doués des plus brillantes facultés, la fleur et l’espoir de