Page:Routhier - La tempérance et les destinées du Canada, 1911.djvu/8

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c’est pour lui dire qu’un fléau terrible a fondu sur le peuple et fait mourir ses enfants, qu’il faut en chercher la cause et proscrire les coupables.

Œdipe est un roi juste. Il n’a pas attendu pour agir les supplications du peuple. Il a fait consulter l’oracle de Delphes, et l’oracle a répondu :

 « Purger, le sol canadien du monstre qu’il nourrit. »

Messieurs, l’analogie entre la situation dramatique de la cité de Cadmus et la grande manifestation de la cité de Champlain, est trop évidente pour qu’il soit nécessaire de la faire ressortir a vos yeux, Comme Thèbes, Québec n’est pas en fête. Ce n’est pas pour nous réjouir de nos progrès, ni pour célébrer nos gloires nationales que les autorités religieuses de notre ville nous ont convoqués. C’est pour nous affliger sur un fléau qui nous décime, qui depuis des années porte dans nos rangs la ruine, le déshonneur, les crimes de tous genres les maladies, la folie et la mort, qui fait de l’individu une ruine physique, morale, intellectuelle, qui détruit la famille, qui est devenu un vrai péril national. C’est pour chercher ensemble le coupable, qui a attiré sur nous cette grande affliction, pour le dénoncer et pour le proscrire. Depuis longtemps déjà, les représentants les plus éclairés de toutes les classes ont été consultés, et la grande consultation nationale répond aujourd’hui, comme l’oracle antique :

 « Purger, le sol canadien du monstre qu’il nourrit. »
Mais quel est-il donc, ce monstre ?

À Thèbes, le coupable était le roi lui-même ; mais il était coupable sans le savoir, et sa culpabilité même était fort douteuse ; car il avait été victime de la Fatalité, et dans les crimes tout « matériels » qu’on lui reprochait, il n’y avait pas eu d’intention criminelle de sa part.

Quand il connut les faits, cependant, il se condamna lui-même à la proscription, et il partit pour l’exil.

N’attendez pas pareil héroïsme du monstre qui est la cause de nos maux et qui se nomme Alcool. Il ne reconnaîtra jamais sa responsabilité, celui-là, et jamais il ne prendra volontairement la route de l’exil.

Comme Œdipe, il est roi, et sa souveraineté tyrannique s’étend sur toute la terre. Comme Œdipe, il est meurtrier ; mais il n’avoue jamais aucune intention criminelle dans les meurtres sans nombre qu’il commet. C’est toujours la seule Fatalité qui en est responsable.