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Il n’est pas seulement roi. Il est tyran. Il écrase ses sujets d’impôts, il les réduit en esclavage. Mais, chose étrange, il est aimé de ses esclaves.

C’est que, malheureusement, il n’est pas sans charme ni séduction, et qu’il se représente lui-même comme un bienfaiteur de l’humanité.

Écoutez-le faire l’énumération de ses bienfaits :

« Je suis le Roi du jour et des siècles. Dans l’antiquité, j’étais dieu : on m’appelait Bacchus. Je préside à toutes les fêtes mondaines, et j’y apporte le plaisir et la joie. On ne s’amuse pas sans moi. Tout le monde m’aime et me recherche, le laboureur et l’ouvrier, le marin et le soldat, l’homme des professions, de la finance, du commerce et de la politique.

« C’est moi qui stimule l’éloquence des avocats et des députés, la verve des journalistes et des hommes de lettres. C’est moi qui console les affligés, qui réconforte tes faibles, qui réchauffe ceux qui ont froid, qui rafraîchis ceux qui ont chaud, et qui guéris les malades. Enfin, c’est moi qui répands partout la gaieté, la jouissance, le rire et les chansons. »

Voilà, messieurs, les promesses alléchantes du roi Alcool, et ce qui en fait l’immense danger, c’est que tout n’est pas faux dans ces promesses. Il est vrai que les vins et diverses liqueurs, plus ou moins alcoolisés, pris avec une modération, très modérée, en temps opportun, quand on en a vraiment besoin dans l’alimentation, ou pour des fins médicales, produisent souvent des effets bienfaisants. Mais c’est précisément à cause de ce bien relatif, et surtout du plaisir que l’alcool vous fait, qu’il faut vous en défier comme du diable ; le diable aussi donne des plaisirs à ses victimes. Peu à peu, sous un prétexte ou sous un autre, on s’habitue à l’usage de l’alcool, on en augmente la dose, ou en prend sans besoin, pour se donner de la gaieté ou de l’esprit, et l’on finit par ne pouvoir plus s’en passer.

Alors, c’est l’esclavage, et le Roi du jour se fait tyran. Vous avez entendu ses promesses pleines de séduction : laissez-moi vous montrer maintenant le spectacle lamentable des maux qu’il répand partout dans son empire.

Les fêtes mondaines auxquelles il préside si joyeusement finissent par des tragédies, et les parties de plaisir par des crimes et des deuils de famille. Les marins, les ouvriers et les soldats qu’il abreuve, il en fait des indisciplinés, des flâneurs et des débauchés. Les hommes des professions et les politiciens qui vont chercher l’éloquence dans ses banquets finissent par être des ratés et des impuissants. Car l’abus de l’alcool alourdit l’intelligence, et ne