Sentant frémir en lui la haine qui le ronge,
Il avait essayé d’approcher de la croix.
Mais il avait senti qu’une force rebelle,
Qu’un vent mystérieux paralysait son vol ;
L’air s’était tout-à-coup dérobé sous son aile,
Qui frappant dans le vide avait heurté le sol.
Une terreur secrète envahissait son être ;
Il était accablé d’impuissance et d’effroi :
« Au moment, pensait-il, où je redeviens maître,
« Où de cet univers je redeviens le roi,
« D’où vient donc que je tremble et frémis d’épouvante ?
« Cet être, quel qu’il soit, ange, prophète ou Dieu,
« Va livrer à la mort sa dépouille sanglante ;
« J’entends son dernier râle et son suprême adieu.
« Il ne peut plus troubler la paix de mon empire,
« D’où vient que je me sens défaillir de stupeur ?
« Que dis-je ? En ce moment où mon rival expire,
« La nature elle-même est muette d’horreur !
« On dirait qu’avec lui l’univers agonise,
« Et que le genre humain a vu son dernier jour !
« Jéhovah ! Sois maudit ! Je t’abhorre et méprise ;
« La haine est mon trésor, garde pour toi l’amour !
« Je reconnais les traits de ta main vengeresse
« Dans l’horrible malheur où je me sens plongé !
« Mais si c’est là ton fils, qu’importe ma détresse ?
« Il souffre, il va mourir et je me sens vengé ! »
Et Satan releva péniblement la tête ;
Au sommet du Calvaire il jeta son regard :
Il voulut blasphémer, sa langue était muette ;
Page:Routhier - Les échos, 1882.djvu/71
Apparence
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
la mort du christ