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à la pauvreté ; il faut craindre l’feu, l’soleil, l’eau, et la pluie ; tout est dangereux pour celui qu’a un sort ; qu’il sorte ou qu’i’ entre ; qu’i’ voyage où qu’i’ s’tienne chez eux ; qu’i’ dorme ou qui veille, i’ est jamais en sur’té. Un sort, ça s’attaque à tout : aux moissons, aux bâtisses, aux enfants, aux bêtes, aux hommes et aux femmes : rien ne lui échappe. I’n’y a pas de r’mède cont’c’mal là, et mieux vaut la peste ou l’choléra, l’épizootie ou la clavelée, auxquels les docteurs font quéquefois, quêque chose. Ah ! bon Dieu ! si on peut s’en guérir, on ne peut pas s’en défendre. I’n’y a pas à compter su’ les juges ou su’ les avocats. J’cré que m’sieu l’curé peut rien y faire, lui-même, quoiqu’il en dise. Enfin, pour tout dire, c’est l’plus grand des malheurs qui puisse atteindre un chrétien, puisque dans c’malheur là, i’s’trouve tous les aut’malheurs ensemble.

l’avocat, (avec une ironie contenue.) Mon Dieu ! mon pauvre homme, pour être vrai, je crains que la loi elle-même ne soit désarmée devant ce terrible fléau que vous nommez un sort, et qu’à tous ces autres inconvénients, si bien décrits par vous, il joigne celui d’être insaisissable.

baptiste. Ah ! m’sieu l’avocat ! j’pense ben qu’la justice n’empêchera pas qu’un sort m’ait été jeté, pauvre de moi !

l’avocat. Mais alors, que lui demandez-vous ?

baptiste, (avec éclat.) De punir ce méchant homme !

l’avocat, (ironiquement.) Je crains qu’elle ne veuille s’y prêter.

baptiste. Alors, à quoi qu’ça sert les juges et les avocats ?…

l’avocat, (piqué.) Ça sert à plaider et à juger des causes raisonnables : la vôtre ne l’est pas.

baptiste, (résolument.) Puisque vous l’prenez su’c’ton-là, j’vas voir un aut’avocat ! (Il prend son panier.)

l’avocat. Là ! là ! calmez-vous, mon cher client, et surtout posez votre panier : une omelette est bientôt faite.