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LA MAIN DE FER

poussa, rebelle, entre les bras du dieu du sommeil.


CHAPITRE II

MAIN-DE-FER


Le lendemain, à son réveil, avant le saut du lit, De la Salle repassa minutieusement dans sa mémoire tous les événements de la veille. Qu’il eût affaire à quelque misérable ayant de bonnes raisons de le craindre, c’était évident, mais c’est la voix du gaillard subitement dégrisé qui l’intriguait, car il lui semblait que cette voix n’était pas étrangère à son oreille.

Il eut beau chercher, fouiller le passé, la lumière ne se fit point sur ce qu’il voulait élucider.

Mais il s’arrêta tout à coup à une idée qui venait de surgir à son esprit.

Il s’habilla rapidement, endossant le plus modeste de ses vêtements, s’arma de son épée et d’une paire de pistolets qu’il dissimula sous son pourpoint.

Le jour commençait à peine, et c’est même ce qui décida De la Salle à mettre son projet à exécution.

Il sortit de son hôtel et se dirigea aussitôt vers la ruelle, endroit de sa rencontre de la veille avec le turbulent disciple de Bacchus. Il se promena dans ces parages et, lorsqu’il voyait quelqu’un venir à lui, il baissait la tête, rabattant son large feutre sur ses yeux et prenait la mine craintive, effarouchée, du malfaiteur qui a maille à partir avec Dame Justice et se tient toujours aux aguets en cas d’alerte.

Puis, quand il arrivait de la sorte à quelques pas du personnage, il se redressait, poussait sa coiffure en arrière d’un geste de la main, et du coin de l’œil épiait un signe lui révélant la présence de celui qu’il cherchait.

— Cet individu quel qu’il soit, ne m’est pas étranger cela est sûr, et, s’il me redoute c’est qu’il craint et pour cause que je le reconnaisse ; donc, en ouvrant l’œil, je parviendrai peut-être à le retrouver !… Je soupçonne que cela en vaut la peine. Pourquoi ?… Je ne saurais l’expliquer… mais j’en ai l’intuition… continuons !…

Et les allées et les venues se renouvelaient, — il faut l’avouer, — sans succès.

Une fois ou deux, De la Salle se crut en bon chemin, mais trop avide de retrouver l’homme mystérieux, il se méprit chaque fois sur des gestes, n’ayant point du tout la signification qu’il leur attribuait.

En chaque cas, il en fut pour des excuses.

Non rebuté, il recommença ses marches et contremarches, lorsque enfin il se dit :

— Non ! mais au lieu de me morfondre ici à faire les cent pas, si je visitais les cabarets des environs ?… Morbleu !… Je parie que de cette façon je retrouve mon gaillard !… Allons !… en chasse !…

Sitôt dit, sitôt fait. Il se dirigea vers le premier cabaret qu’il vit et y entra.

Il prit place à une table près de la porte et commanda une bouteille de vin ; il s’en versa un plein gobelet, quoique son idée n’était pas du tout de boire. En le sirotant, il étudia les personnes présentes dans la pièce. Il examina d’abord les plus rapprochées de lui. Rien, là !

Ensuite, tout au fond de la salle, il aperçut deux lurons à la mine sordide, qui festoyaient gaiement. Leurs lèvres se penchaient très souvent, avec amour, sur le bord de deux grands bols, dans lesquels ils se versaient de copieuses rasades. Ils mangeaient goulûment d’un certain ragoût posé devant eux.

De la Salle ne voyait que le visage de l’un des compères, l’autre lui tournant le dos. À en juger par leur belle humeur, leurs propos étaient amusants : ils riaient à gorge déployée.

Tout à coup celui qui tournait le dos se mit à chantonner :

 « Si tu veux, ma toute belle,
Faire mon bonheur… »

— C’est lui ! s’écria De la Salle, s’oubliant subitement.

À ces mots imprudents, chacun dans le cabaret de regarder qui avait parlé.

De la Salle sentit immédiatement quelle bévue il commettait ; il songea à la réparer tout de suite.

Déjà les clients du bouge murmuraient entre eux, et les mots de limier de police, etc., se faisaient entendre. Un mauvais parti s’annonçait pour notre homme.

Il le conjura.

— L’ami, dit-il, s’adressant au chanteur, je suis à la recherche d’un ancien qui a déjà travaillé pour moi jadis… et j’aurais encore besoin de lui…