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LA VIE CANADIENNE

par quatre ou cinq générations d’une conduite morale indiscutable. S’il survient corruption, il faut chercher ailleurs le germe malsain. Il n’est pas un peuple au monde qui puisse se glorifier de n’avoir pas de femmes faciles dans ses classes, et le peuple canadien n’en est pas épargné ; mais devons-nous trouver que ces peuples soient dégénérés par le voisinage et l’action de ces créatures de moeurs suspectes ? Non. Et quant au peuple canadien-français, il possède ses « quartiers de noblesse », il ne faut pas voyager longtemps sur son domaine pour le constater. Non pas que nous soyons issus d’un puritanisme, comme cette fantaisiste sobriété de moeurs, plus affectée que réelle, qu’ont toujours étalée certains Yankees ; mais, comme le démontre clairement Suite, les sources de nos origines se trouvaient toutes pures, et elles se renouvelaient par un je ne sais quoi d’assainissant qui prenait ses racines dans le code des lois religieuses. Au reste, la license des moeurs n’était pas dans le caractère de notre race ni dans son tempérament, elle ne l’est pas encore après trois cents ans d existence, et rien ne nous fait penser qu’elle le soit jamais. Nous ne voulons pas tirer vanité d’une moralité qui peut s’offrir en exemple à bien des peuples de la terre, mais nous devons riposter aux attaques avec nos meilleures armes.

Gérard Malchelosse ne s’est pas contenté de nous apporter ce précieux volume de Benjamin Suite, il l’a complété, il en a élargi le point de vue d’ensemble par deux chapitres, fort bien étançonnes, sur le recrutement de filles en France pour le Canada et l’immigration de faux sauniers. Ces deux chapitres nous fournissent des renseignements d’une grande valeur qui sont les meilleures armes pour nous protéger contre la calomnie. Comme on peut le penser, il n’a pas manqué, au Canada comme en France, de racoleurs et racoleuses embauchés pour envoyer dans notre pays des hommes des bas-fonds et des femmes de mauvaise vie ; on en agit ainsi avec tous les pays nouveaux. En France, à cette époque de notre colonisation, on promettait à des agents jusqu’à dix livres tournois par tête de mâle, mais la sollicitation, heureusement, demeurait stérile ou à peu près. Quant aux racoleuses, il est bien possible qu’elles aient réussi à « faire passer » quelques filles avant La Jonquière et Bigot ; mais à tout prendre elles furent en si petit nombre qu’il est oiseux de s’y arrêter. L’immigration des faux sauniers pouvait paraître plus grave, parce que nos autorités du temps auraient pu être trompées : on aurait pu, en effet, envoyer au pays de véritables malandrins sous l’étiquette de faux sauniers ou, si l’on veut, de contrebandiers. Touchant cette question, Gérard Malchelosse nous donne des faits et des chiffres avec toute leur signification. Là encore, la légende se trouve tuée. A la vérité, nous eûmes un assez bon nombre de faux-sauniers. Quant aux contrebandiers, ils se sont surtout introduits par voie de la Louisiane, mais le plus grand nombre n’a pas étendu son champ d’action au-delà des Grands Lacs. Ce qui s’est introduit dans le Canada proprement dit ne compte guère. Même si une assez bonne portion de notre population mâle eût été versée dans le métier de la contrebande, qu’auraient à dire les autres peuples ? Si, de nos jours, il est un pays de contrebandiers, et qui le fut de tous temps depuis son origine, c’est bien le pays des Yankees ? Pourtant, là encore, comme le dit bien Suite, en la page 68 de son livre, « notre population était en ce moment assise, formée, organisée de longue date ». Il aurait pu ajouter, expressément pour chatouiller la vanité de certains auteurs étrangers, « qu’elle était parfaitement épurée », si l’on veut absolument qu’elle ait contenu dans les commencements quelques virus corrupteurs. Et qu’est-ce à dire encore des contrebandiers ?

Ne sont-ils point, en notre époque

surtout, aux Etats-Unis en particulier, une classe de gens avec qui « la bonne société » consent à frayer ? S’il était possible, chaque richard, le moindre richard des Etats américains aurait sous son toit, à sa table, dans son lit son petit contrebandier qu’il dorloterait comme un enfant aimable, qu’il porterait sur le bout des doigts ! Et les nôtres, nos contrebandiers... parlons même de nos « bootleggers », ne sont-ils pas, pour la plupart, de fort bons pères de famille, toute paradoxale que peut paraître cette prétention, et dont les enfants sont absolument sains de corps, d’esprit et de coeur ? Nous ne songeons certes pas à les défendre contre la loi qui les pourchasse, mais nous tenons à leur donner cette justice que, à leurs yeux, la contrebande est un métier comme un autre, un commerce, honorable même, à condition de ne pas tomber sous le coup de la justice.