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Il se tut ; il était épuisé.

Les deux amis, Joseph et Pierre, assistèrent aux derniers moments du malheureux, plus émus qu’ils ne l’avaient été dans plusieurs autres scènes douloureuses et navrantes.

Dans les derniers spasmes de la mort, ils crurent ouïr ces mots : « Méfiez-vous !… l’Œil-croche !… »

Les deux jeunes gens reprirent le chemin de leur demeure après avoir donné des instructions au cabaretier sur ce qu’il aurait à faire.

— Ce que c’est que la vie, disait Joseph, en s’en allant. Il y a quelques heures nous étions à une gaie réunion, à une fête magnifique, où tout était en liesse… et nous venons de voir la mort cueillir une victime.

— Allons ! tes idées ne sont pas réjouissantes, dit Pierre ; changeons de sujet. Je vais prendre un peu de repos… de sommeil, si c’est possible… et puis je reviens te voir… jeter un regard sur ta précieuse amulette… À moins qu’il n’y ait pas grand’chose dans tout ceci… et que le vieux cuivré nous ait trompés, comme on l’aurait trompé lui-même…

— Qu’en sais-tu ? demanda Joseph.

— Eh bien ! penses-y donc ! un magot de quatre-vingts livres en or… cela s’est-il vu ?… s’est-il trouvé ?…

— Pourquoi pas ?… Enfin, nous examinerons ces papiers à notre aise.

Ils se séparèrent.

Joseph se coucha, l’amulette serrée nerveusement dans l’une de ses mains.

Il ne tarda pas à s’endormir : mais quel sommeil ? plus fatiguant pour son corps que s’il fut demeuré dans son lit les yeux ouverts jusqu’au grand jour.

Il rêva.

Il se voyait riche tout à coup. De l’or, il en trouvait dans une cachette dans la maison paternelle, où il n’aurait jamais eu l’idée d’en chercher. Mais qu’importe ! Il avait de l’or à satiété, il était immensément riche !… Puis, la scène changeait un peu, il voyait son ami Pierre jaloux de son bonheur et voulant en jouir. Il se prenait de querelle avec lui ; Pierre, enfin, lui enfonçait dans le côté droit un grand couteau, et Joseph s’éveilla en poussant un cri.

Pierre était là, le secouant vigoureusement pour le réveiller.

— Allons ! dit-il, il est tard : levez-vous, monsieur le paresseux, il y a longtemps qu’une autre journée est commencée.

Et Joseph, bien content d’avoir été tiré, quoique rudement d’un rêve affreux, se leva prestement et fit sa toilette.


IV

LE SECRET DE L’AMULETTE

Naturellement, la première pensée des deux gentilshommes fut pour le talisman du Bison dans lequel était enfermé le secret devant les rendre possesseurs de grandes richesses.

L’amulette représentait un aigle les ailes ouvertes et n’était pas sans mérite au point de vue artistique. Le rude enfant des bois qui l’avait façonnée avait dû y consacrer beaucoup de temps, en sus d’un certain talent, pour couper ou sculpter d’un morceau de corne, l’objet qui selon la croyance de son auteur, devait servir de préservatif contre beaucoup de choses plus ou moins redoutables.

Le talisman avait été peint en noir, d’un noir permanent, aussi égal, aussi pur en 1749 qu’à l’époque de sa fabrication.

À l’endroit où se trouvaient les yeux, la tête de l’aigle était percée de part en part, et par ce trou on pouvait introduire un cordon pour suspendre l’amulette au cou.

Joseph la retourna en tous sens mais il ne put découvrir quel en était le secret.

Pierre regardait faire avec impatience ; il avait des fourmis dans les doigts, il lui semblait, lui, qu’il pourrait trouver en moins de temps le mot de l’énigme. Aussi voyant l’insuccès de son cousin, ne put-il s’empêcher de dire :

— Donne-moi donc, Joseph, que j’essaie à mon tour ; peut-être serai-je plus heureux que toi ?

Joseph lui présenta l’objet Pierre l’examina d’abord minutieusement sur toutes ses faces. Avec la pointe d’un petit couteau qu’il pressait dans chaque ligne ou pli gravé sur l’os, il cherchait le moyen de l’ouvrir. Mais ses efforts furent vains.

Il tira sur les ailes, la tête, la queue ; la pièce, tout solide, ne se séparait pas.

Enfin, gagné par le dépit, Pierre dit, en jetant l’amulette rudement sur la table :

— J’en jette ma langue aux chiens !… Peste soit du vieux Mandane et de son talisman !…

Mais quelle ne fut pas sa surprise en voyant un petit morceau d’os s’échapper de la base de l’amulette, ronde à cet endroit.