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et du vallon, et bientôt apparut sur la Saskatchewan une mince lame de cristal. C’était l’hiver.

La garnison du fort La Jonquière ne redoutait pas les rigueurs de cette saison. Elle avait des vivres en abondance, du combustible, et d’épaisses fourrures, dans l’enceinte fortifiée, pour envisager sans sourciller les intempéries, les tempêtes et le froid qui ne manqueraient pas de sévir de décembre à mars.

Pour dégourdir ses hommes, Joseph leur avait ordonné l’exercice militaire chaque matin et chaque après-diner.

Le Renard et l’Écureuil confectionnaient des raquettes pour eux et pour leurs maîtres.

M. de la Vérendrie s’entretenant un jour avec Pierre au sujet de La Pipe et du trésor que cette montagne recélait en son sein, avait convenu que le temps le plus propice pour l’aller quérir, serait quand la nature reposerait endormie sous son immense drap blanc. Le trajet ne présenterait pas autant de difficultés en raquettes, et la masse aurifère serait transportée très aisément sur un traîneau sauvage : la « tobagannane ».

Quelques jours après l’échange des prisonniers, Pierre avait songé à trouver une femme de chambre à l’Espagnole. De l’Écureuil, à qui il s’en était ouvert, il avait appris qu’au ouigouame de Patte-d’Ours, le jeune homme avait une sœur à peu près de l’âge de la senorita.

Patte-d’Ours était rusé. Le choix de Joseph en prenant ses deux fils lui avait plu. Il s’était dit que ses enfants apprendraient beaucoup de choses utiles chez les blancs, et acquerraient par là, une grande supériorité sur leurs camarades.

Il ne doutait pas qu’il en serait de même pour sa fille. Et puis, les Français étaient généreux : elle recevrait des cadeaux, tout comme ses frères.

Toutes ces choses se présentèrent rapidement à son esprit, quand il reçut le message de Pierre, et sa décision fut tout de suite arrêtée. Mais il ne se pressa pas pour cela. Ce n’est pas dans le caractère du sauvage de conclure une affaire lestement ; il y apporte plus de cérémonie, plus de solennité, souvent pour la forme, afin d’en imposer à celui avec qui il négocie.

Dona Maria fut très touchée de cette délicatesse de M. de Noyelles, et ses magnifiques yeux noirs reflétèrent ses sentiments ; ce qui fit un plaisir bien doux à ce bon garçon.

La jolie brunette avait voué une reconnaissance éternelle à ses sauveurs, et comme elle l’avait dit, dans ses prières quotidiennes, elle priait le Tout-Puissant d’éloigner d’eux tout danger, et de protéger spécialement MM. de la Vérendrie et de Noyelles.

Les enfants de la noble Ibérie vivent sous un soleil ardent, lequel fait circuler dans leurs veines un sang plus chaud que si leur vie s’écoulait sous une zone tempérée. Se laissant emporter par le sentiment, bon ou mauvais, qui l’anime, l’Espagnol ne calculera point, il lui vouera tout son être.

Dona Maria à mesure qu’elle connaissait mieux les officiers canadiens pouvait apprécier davantage leur beau caractère.

Subissant la loi du contraste, et à son insu, la belle enfant trouvait le blond lieutenant de Joseph plus aimable que celui-ci.

Son esprit ouvert, enjoué, avait fait impression sur son cœur.

Cupidon, qu’on ne s’étonne pas de le voir ici : il est partout ; s’il ne remplit pas le ciel, il remplit la terre, a donné aux senoritas de l’Espagne, pour lui faire des victimes, une jolie main, un éventail et de grands yeux noirs d’un charme infini.

Dona Maria n’avait pas d’éventail, mais en eut-elle possédé que à cause de la saison hivernale, cet objet n’eut pu convenablement lui servir. Toutefois, elle pouvait bien s’en passer ; le jeu de ses yeux, de cette nuance qu’aimait Pierre, lui suffirait amplement pour l’accomplissement d’un dessein qui venait de naître dans sa tête de jeune fille. Elle avait d’abord repoussé cette idée, ne voulant pas y songer trop longtemps de crainte d’y succomber ; mais un jour, après une conversation avec Pierre, ayant finement manœuvré, elle avait cru discerner ce qu’elle désirait connaître.

Et en tremblant, elle s’avoua que, si elle pouvait gagner l’amour de Pierre, ce serait pour elle le plus grand bonheur sur terre.

Et Pierre ?

Oh ! il subissait le charme de cette gracieuse fille d’Ève. Lui qui avait vécu depuis près de deux ans loin de Montréal ; loin de ses gaietés, de ses belles fêtes et de ses jolies filles, avait trouvé avec plaisir qu’à la beauté, Dona Maria joignait les qualités sérieuses, et de l’esprit.

Naturellement, sous les cruelles circonstances qui avaient changé et bouleversé son existence, et durant sa captivité, l’Espagnole n’avait pu supporter les dures épreuves qui l’avaient assaillie, sans en montrer des traces