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sur son visage, et sans avoir intérieurement l’âme endolorie.

Se sachant hors des mains des Yhatchéilinis, et faisant un retour sur les quelques derniers mois, témoins de ses malheurs, elle pleura amèrement, s’abîma dans la tristesse de l’être qui n’a plus ni parents ni amis ; puis, ses larmes furent moins abondantes, et elle examina ce qui se passait autour d’elle, machinalement d’abord, avec intérêt ensuite, et enfin avec plus d’attention.

Elle renaissait à la vie.

C’est alors qu’elle remarqua plus particulièrement M. de Noyelles.

Joseph s’était aperçu d’un faible changement dans les manières de son intime. Le nom de Dona Maria revenait souvent dans leurs conversations, et qui l’y amenait ? toujours Pierre.

Un jour, ce dernier fut tout interloqué quand Joseph lui demanda malicieusement laquelle de l’Espagnole ou de la Canadienne : de Mlle de la Périère ou Dona Maria avait le plus doux regard ? Et le soir, lorsqu’il fut seul, repassant dans sa mémoire les incidents de la journée, Pierre se dit :

— Serais-je amoureux de la senorita ?

Longtemps dans son lit, il rêva, les yeux ouverts, jusqu’à ce que le sommeil vint clore ses paupières.

Le jour suivant, en rencontrant Joseph :

— Sais-tu, dit-il, que nous devrions aller chercher notre or à La Pipe ? Et, si tu veux me le permettre, j’irai, moi, quérir cette fortune qui sera mieux ici que là-bas.

— C’est bon ! je vais te donner nos deux Yhatchéilinis pour t’y conduire. Quand partiras-tu ? demain ?

— La journée vient de naître, pourquoi ne partirai-je pas immédiatement ?

— Oui, mais il faut te préparer ?

— Oh ! du tout ! Nous n’aurons pas grand’chose à prendre.

Le Renard et l’Écureuil ne prirent pas une demi-heure à s’apprêter. Les trois voyageurs munis de raquettes pour marcher sur la neige et remorquant deux tobagganes, sortirent du fort, descendirent vers la rivière et, gagnant l’Est, suivirent la rive nord afin de n’être pas vus des Yhatchéilinis. Ils allaient d’une allure rapide et ne tardèrent pas à mettre une bonne distance entre eux et la bourgade.

Le soir, ils firent une halte.

Ils se creusèrent un trou dans la neige, arrangèrent leurs traîneaux pour se garantir du vent glacial qui soufflait, et se roulèrent dans les couvertures de laine qu’ils avaient emportées et, pendant que deux dormaient, le troisième veillait pour la sécurité commune.

Au jour naissant, les trois hommes se remettaient en route pour la grotte de la montagne La Pipe, où ils arrivaient dans la matinée.

Rien n’indiquait que des pieds étrangers eussent pénétré dans cette retraite. Après avoir fait un feu et s’être bien réchauffé, Pierre guidé par l’Écureuil, alla voir la masse d’or extraite de la cachette, entre la source et la grotte. Quand il sortit du long tuyau, ou boyau, qui conduisait à la seconde chambre, — la chambre du trésor, — il remarqua un jet de lumière tombant en plein sur l’énorme pépite. Il suivit ce rayon du regard et remarqua qu’il provenait d’une fissure dans le mur de la grotte. Il y appliqua l’œil droit et constata que, si cette ouverture pouvait être agrandie, il s’épargnerait la tâche de reporter l’or dans la première caverne.

La fissure donnait sur un ravin ou « coulée » circulaire dans le manche de La Pipe. Aussi loin hors de la « coulée » que la vue s’étendait, une nappe dont aucun arbre ne maculait la blancheur, se déroulait, immense, et se confondait à l’horizon avec la voûte céleste.

Dans la « coulée » croissaient des pins et des sapins.

— Nous partirons demain, remarqua Pierre à son compagnon ; et si cela est praticable, nous agrandirons cette fente et nous sortirons par là.

Ils rebroussèrent chemin.

En arrivant à la première grotte, ils trouvèrent le Renard bien excité.

Il était sorti, raconta-t-il, pour ramasser quelques brassées de bois, aux alentours ; et, au moment où il se disposait à rentrer, une balle avait sifflé à son oreille et s’était aplatie sur le calcaire, à côté de lui. Se retournant promptement, il avait cru apercevoir quelques sauvages se dissimulant derrière des arbres.

Cette attaque venait précisément de s’accomplir.

XV

BROSSARD ENCORE EN SCÈNE

Joseph, Dona Maria, et la garnison du fort La Jonquière avaient vu s’évanouir à l’horizon les silhouettes des trois raquetteurs,