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qu’à leur venue en 1751. Leurs canots filaient comme des flèches sur le cours d’eau.

Un jour, de Noyelles disait à son ami :

— Si nous posions un mât et une corde à chaque esquif, ne pourrions-nous pas accélérer sensiblement notre vitesse ?

La proposition fut mise en pratique et, en effet, donna une allure plus grande aux légères barques.

Les voyageurs n’atterrissaient que le soir, pour prendre un peu de repos.

Pierre et Joseph avaient bien hâte d’arriver à bon port, pour deux raisons : ils avaient à bord une charge précieuse en la personne de la belle Espagnole, et, à cause de la richesse extraite du flanc de la montagne La Pipe.

Pour rompre la monotonie de la route et créer une diversion dans leurs entretiens, Dona Maria décida de faire, à Joseph et à Pierre, le récit des terribles épreuves qu’elle avait traversées.

Ce fut d’une voix émue qu’elle commença, une après-midi de mai, l’histoire que nous allons esquisser.

« Mon père, dit-elle, avait nom le vicomte d’Ampurias, et possédait le château et les terres dépendant de ce titre. Ce domaine est situé au nord-est de l’Espagne, près de la frontière Française.

« Nous demeurions à une lieue et demie du rivage de la mer ; c’est ce qui explique peut-être l’amour que mon père avait depuis son enfance pour la vie de marin.

« Jeune homme il entrait dans la marine royale. C’était réellement la vie qui lui convenait, s’il faut en juger, par les promotions brillantes qu’il reçut à la suite d’engagements, de batailles ou de combats navals.

« Or, un matin, — mon père avait alors trente ans, je crois, — il revenait d’Iviza, en l’île du même nom, et croisait sur les côtes de la province d’Alicante, lorsqu’il vit à l’horizon une voile en fuite ; il la reconnut à l’aide de sa lunette pour un corsaire algérien. Ce gaillard lui semblait s’esquiver après avoir fait un mauvais coup et mon père entra aussitôt en chasse. Quoique le bandit arabe eut un fin voilier, la frégate LA MURCIA, commandée par le vicomte, marchait bien aussi et ne tarda pas à montrer sa supériorité sur l’ennemi, qui fut rejoint et forcé d’accepter le combat. La victoire après une lutte opiniâtre se décida en faveur du pavillon Espagnol.

« En visitant la prise qu’il venait de faire, mon père eut le bonheur de rendre la liberté à plusieurs de ses compatriotes ; entr’autres, à la belle et riche senorita de la Villajoyosa, faite captive la nuit précédente, en son castel sur le bord de la mer, à l’embouchure de la Seco, dans la province d’Alicante.

« Que dirai-je de plus, senors ?

« Le vicomte aima et épousa cette jeune personne qui devînt ma mère.

« Mlle de Villajoyosa était orpheline et relevait de tutelle. Pour fêter sa majorité, elle avait convié à son château, les seigneurs et les belles Espagnoles des entours. C’est sur ces entrefaites que les pirates redoutables d’Alger descendirent sur ce point du littoral. Ils n’eurent pas tout à fait beau jeu, quoiqu’ils dussent sortir vainqueurs de cette affaire. Nos gentilshommes s’apprêtant à s’amuser ne portaient à leur côté que des épées de parade et furent obligés de plier sous le choc d’un ennemi supérieur en nombre. Les Arabes firent alors une riche moisson ; mais leur triomphe devait être éphémère.

« La frégate du roi, LA MURCIA survint à temps pour les châtier.

« Sur les instances et les prières de ma mère, mon père se résigna à abandonner la marine.

« Ils vivaient à la cour, à Ampurias et à Villajoyosa, et ils menèrent une vie heureuse, très heureuse.

« Je fus l’unique fruit de cette union.

« Hélas ! cet Éden ne pouvait durer toujours ! La mort enleva à mon père son épouse chérie, et à moi, une mère adorée. Quelques jours seulement suffirent à changer nos existences, de la joie au deuil. Nous habitions Ampurias en ce moment.

« Mon père durant de longs jours fut triste et sombre, puis enfin se décida brusquement à partir pour Madrid. Il me confia aux mains d’une femme bonne et dévouée, qui jadis avait demeuré du côté Français des Pyrénées, près de Port-Vendres, mais qui suivit son fils, son seul enfant, quand celui-ci, séduit par les yeux noirs de la fille de l’un de nos tenanciers, vint demeurer chez nous ».

Aux mots de yeux noirs Pierre avait adressé un clin d’œil à son ami, qui sourit, comprenant l’allusion à leur entretien le soir du bal de M. de Longueuil.

La jeune fille saisit au vol et l’œillade et le sourire ; elle sourit elle-même, devinant quelque gouaillerie.

Pierre s’empressa d’expliquer :

— Senorita, dit-il : pardon de vous inter-