Page:Roy - Le secret de l'amulette, 1926.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rompre. Aux mots de : yeux noirs que vous venez de prononcer, nous avons pensé mon ami et moi, à une discussion que nous eûmes au sujet des yeux bleus et des noirs, et je me disais que si votre compatriote eut eu des yeux bleus, son amoureux, probablement, n’aurait pas été assez sous le charme pour s’expatrier…

— Ce qui signifie, senorita, dit Joseph malicieusement, que le jeune homme que voici est le vaillant champion des yeux noirs qu’il adore.

À ces paroles un vif incarnat colora les joues de l’aimable enfant ; mais ceci passa comme ces nuages blancs que chasse le vent après l’orage et qui pour un moment s’interposent entre le soleil et la terre.

Elle leva les yeux ensuite vers les deux Français, et sans s’expliquer pourquoi, ou sans compter que leur action était un peu folle, tous trois partirent d’un franc éclat de rire, de ce bon rire frais de la jeunesse, et qu’il fait plaisir d’entendre.

— Mon Dieu ! messieurs, dit l’Espagnole avec une grâce charmante, et secouant sa jolie tête pour donner plus de poids à ce qu’elle allait dire, je devrais vous gronder pour m’avoir fait rire dans un moment où mon récit prenait un ton triste, mais je veux bien vous pardonner si vous me promettez de ne plus recommencer !

En parlant ainsi, une boucle mutine, qu’en vain la main de Dona Maria voulait ramener sous sa coiffure, couvrait son front et la rendait plus séduisante encore, plus adorable.

C’est ce que pensa Pierre.

La brune enfant continua son récit :

« J’avais alors dépassé trois ans. Je restai jusqu’à l’âge de sept ans avec ma bonne. Au bout de ce temps, mon père, que je revoyais à des intervalles de plus en plus espacés, me plaça au couvent de la ville de Rosas. Chaque fois que je le revoyais, il me paraissait bien changé, maigri, fatigué, malade, et cela m’attristait beaucoup.

« Je voyais toujours arriver avec délices l’époque des vacances ; durant ce temps que je passais au château d’Ampurias, chacun me gâtait ; j’étais choyée, caressée.

« Je venais d’atteindre ma quinzième année ; au retour des vacances je retrouvai mon père à la demeure seigneuriale. Il revenait au foyer de ses ancêtres pour s’y fixer, étant rassasié de la vie de la cour.

« Il fut charmé des choses que j’avais apprises chez les bonnes religieuses de Rosas, il me le dit, ainsi que d’autres compliments très flatteurs pour ma petite personne, et que je ne répéterai pas devant vous, senors…

— Mais que nous devinons, dit Pierre ; et que nous…

— Chut ! dit-elle ; n’achevez pas, ou je croirai que vous ne parleriez, comme mon père, que pour me faire plaisir…

Pierre voulut protester, mais Dona Maria s’empressa de continuer :

« Un jour, mon père me dit : — « Mon enfant, je ne dois pas te cacher plus longtemps l’état de notre fortune. Après le décès de ta mère, abîmé de chagrin et de douleur, je n’ai pas été assez courageux pour demeurer à Ampurias ; la solitude me pesa ; il me fallait du bruit, de l’excitation et je courus à Madrid où les distractions abondent.

« Je suppliai mon père de ne pas en dire davantage : il m’était revenu, cela me suffisait. Nous vivrions tous deux désormais dans le castel d’Ampurias heureux : mais mon père m’arrêta, me disant : — « Tu ne sais pas tout, chère enfant, et il faut que je parle. Dans cette vie étourdissante de la capitale, j’ai semé l’or à pleines mains ; j’ai parié des sommes considérables au jeu, et je reviens ici quasi ruiné. Ce toit même qui nous abrite est hypothéqué, et il ne me reste qu’une ressource pour redorer mon blason…

« J’ai bien songé d’abord à un second mariage… mais à moins de commettre une mésalliance, qui voudrait du viveur ruiné ?… Cet aveu de mes fautes, ma chère fille, m’est pénible, mais je m’y force comme punition de mes faiblesses. L’autre ressource qui me reste est celle-ci : — « J’ai envie de réunir tout l’argent dont je puis disposer, m’acheter un bâtiment, me recruter un équipage parmi les gars de notre domaine d’Ampurias et faire voile pour la côte ouest de l’Amérique du Nord. Je trafiquerai avec les indigènes, pour des pelleteries, de l’argent et de l’or, s’il y en a.

« J’acquiesçai entièrement à son projet, et mon père s’empressa de le mettre à exécution. Nous partîmes ; notre voyage dura plusieurs mois, mais enfin, nous atterrîmes sur une île, près de la côte américaine.

« M. d’Ampurias y construisit de vastes magasins pour recevoir les objets de son commerce avec les sauvages. Tout allait bien ; la fortune semblait vouloir nous sourire, quand un matin, des sauvages de la terre ferme nous firent des signaux. Il n’y avait