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rien d’anormal en cela, tous nos rapports avec les peaux-rouges, lorsqu’ils voulaient communiquer avec nous, préludaient ainsi.

« Il s’agissait d’échanges avec un parti de Sioux.

« Ces sauvages s’avisèrent de s’emparer de nos biens et de tuer notre monde. Ils massacrèrent d’abord ceux qui avaient répondu à leur appel puis, traversant l’espace qui les séparaient de nous, ils nous attaquèrent et se rendirent maîtres de notre établissement. Je vis mon père tué presque sous mes yeux. Je le vengeai. D’un coup de fusil déchargé à bout portant, j’étendis raide mort à mes pieds l’auteur de la mort de mon père. Mais je ne pus faire davantage. On me saisit et l’on me garrotta. Le soir, j’assistai, de la terre ferme, à l’incendie qui consuma nos biens, les cadavres de mon père et de ses hommes.

« Le reste vous est connu, senors… »

Et elle se mit à pleurer.

La vue de cette jeune fille en larmes bouleversa profondément ces deux hommes, dont l’un surtout avait vu bien des chagrins, compté bien des douleurs.

Ils essayèrent de la consoler mais ne savaient comment s’y prendre, et, à la fin, leurs paroles, un peu gauches, embarrassées, amenèrent sur les lèvres de Dona Maria un faible sourire.

Enfin, elle sut redevenir maîtresse d’elle-même.

— Senors, mille pardons ! dit-elle ; je n’aurais pas dû vous faire ce récit et vous causer un tel émoi avec mes larmes, mais c’est fini.

C’est ainsi que Joseph et Pierre connurent l’histoire de l’Espagnole.

Bientôt on arriva au pays où, l’année précédente, les Français étaient tombés au pouvoir des Kinongé-Ouilinis, grâce au narcotique de Brossard.

XVII

UN TRISTE ÉVÈNEMENT

Joseph se demandait avec angoisse quelle chance ses deux canots auraient de passer inaperçus devant le village des Kinongé-Ouilinis, coquettement disposé au bord de l’eau.

Ah ! s’il n’avait pas à protéger Dona Maria ! S’il n’avait pas aussi à rendre à bon port le trésor de la montagne de roches, il ne craindrait pas une escarmouche, voire un combat avec les sauvages !

Pour plus de sûreté il attacha les deux embarcations ensemble, présentant de la sorte un objectif moins grand aux balles ou aux traits de l’ennemi, si l’attaque avait lieu.

Puis, de la Vérendrie déployant sa voile à la brise, et donnant l’ordre à ses hommes de nager vigoureusement, s’avança rapidement et bravement vers le point dangereux.

Il n’y avait alors au village indien que des vieilles femmes, des enfants et de vieux guerriers invalides qui poussèrent une grande clameur en voyant passer les blancs. Le rivage était veuf des embarcations des Kinongé-Ouilinis. Joseph pensa que ces sauvages les avaient cachées dans leur bourgade et qu’ils étaient en excursion dans les terres. Joseph se félicitait intérieurement de cette bonne fortune.

À cet endroit du pays, un amas de montagnes existe, connu sous le vocable de : Monts Vermillon. La rivière est moins large là, et ses eaux coulent plus vite entre les rives resserrées. Pas n’était besoin de continuer à se servir de la voile, ni de ployer aussi vigoureusement les avirons. Joseph ordonna donc un relâchement ; d’ailleurs le danger était moins imminent, pensait-il, depuis que l’on avait dépassé le lieu habité par les Kinongé-Ouilinis.

Ceci s’était fait le matin.

Vers la soirée une désagréable surprise attendait les Français au détour d’un coude de la rivière ; ils faillirent tomber au milieu d’une flottille, montée justement par ceux-là mêmes, dont ils croyaient avoir eu la chance d’éviter le contact.

Les sauvages furent aussi surpris que les blancs, mais Joseph, le premier recouvra sa présence d’esprit et ordonna immédiatement un mouvement de recul.

Les Kinongé-Ouilinis revenaient de leur stupéfaction. Quelques-uns reconnurent dans les visages pâles les prisonniers qui s’étaient échappés de leurs mains un an auparavant. Il n’en fallait pas davantage pour stimuler leur férocité. Ils se croyaient sûrs de leur proie et avaient des cris de joie à l’idée que les blancs retombaient en leur pouvoir.

Les barques indiennes se rapprochèrent de celles des Français.

La manœuvre exécutée au commandement de Joseph avait pour effet de le maintenir le dos au soleil, et au contraire, plaçait les peaux-rouges dans une position telle que, lorsque ceux-ci tireraient les rayons frappant leurs yeux nuiraient à l’efficacité de leurs coups.